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Lieu improbable, difficile à situer,
lincertitude spatiale de lutopie atteint aussi les repères temporels :
où situer ce qui nexiste pas, comment prendre place dans une temporalité sans en
subir lautorité contraignante ? Les créateurs dutopies ont choisi
différents chemins pour protéger cette liberté dinvention, certains vont même
jusquà faire du temps le ressort principal de leur univers.
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Une fois dans létat de murs,
nous serions, mais sans être asservis ni en guerre, à peu près ce que nous étions
avant linvention des arts libéraux, avant que les hommes eussent passé des arts
purement utiles, des arts de première nécessité, à ceux qui nexistent que par
les excès dans lesquels ils ont donné à tous les égards. La vie du temps des
patriarches est lexemple le plus sensible, quoique très imparfait encore, de
létat de vie où nous serions alors. Il faudrait, pour y entrer, brûler non seulement nos livres, nos titres et papiers quelconques mais détruire tout ce que nous appelons les belles productions de lart. Le sacrifice serait grand sans doute ; mais il faudrait le faire : car à quoi bon laisser subsister des monuments, qui ne seraient plus daucun usage et qui en prouvant notre intelligence à nos descendants, leur prouveraient notre folie, et nuiraient même à lobjet, utile pour eux, de les éloigner de toute idée de nos murs ? |
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Les choses me paraissent un peu
changées, dis-je à mon guide ; je vois que tout le monde est vêtu dune
manière simple et modeste, et depuis que nous marchons je nai pas encore rencontré
sur mon chemin un seul habit doré : je nai distingué ni galons, ni manchettes
à dentelle. De mon temps un luxe puéril et ruineux avait dérangé toutes les
cervelles ; un corps sans âme était surchargé de dorure, et lautomate alors
ressemblait à un homme. Cest justement ce qui nous a portés à mépriser cette ancienne livrée de lorgueil. Notre il ne sarrête point à la surface. Lorsquun homme sest fait connaître pour avoir excellé dans son art, il na pas besoin dun habit magnifique ni dun riche ameublement pour faire passer son mérite ; il na besoin ni dadmirateurs qui le prônent, ni de protecteurs qui létayent : ses actions parlent, et chaque citoyen sintéresse à demander pour lui la récompense quelles méritent. Ceux qui courent la même carrière que lui, sont les premiers à solliciter en sa faveur. Chacun dresse un place, où sont peints dans tout leur jour les services quil a rendus à lEtat. Le monarque ne manque point dinviter à sa cour cet homme cher au peuple. Il converse avec lui pour sinstruire : car il ne pense pas que lesprit de sagesse soit inné en lui. Il met à profit les leçons lumineuses de celui qui a pris quelque grand objet pour but principal de ses méditations. Il lui fait présent dun chapeau où son nom est brodé et cette distinction vaut bien celle des rubans bleus, rouges et jaunes, qui chamarraient jadis des hommes absolument inconnus à la patrie. Vous pensez bien quun nom infâme noserait se montrer devant un public dont le regard le démentirait. Quiconque porte un de ces chapeaux honorables, peu passer partout ; en tout temps il a un libre accès au pied du trône, et cest une loi fondamentale. Ainsi, lorsquun prince ou un duc nont rien fait pour faire broder leur nom, ils jouissent de leurs richesses, mais ils nont aucune marque dhonneur ; on les voit passer du même il que le citoyen obscur qui se mêle et se perd dans la foule. La politique et la raison autorisent à la fois cette distinction : elle nest injurieuse que pour ceux qui se sentent incapables de jamais sélever. Lhomme nest pas assez parfait pour faire le bien, pour le seul honneur davoir bien fait. Mais cette noblesse, comme vous le pensez bien, est personnelle, et non héréditaire ou vénale. Louis-Sébastien Mercier, Lan 2440, rêve sil sen fut jamais, 1770, chapitreVI. |
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Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne lempêchera pas dêtre libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de lhumanité. Elle aura la gravité douce dune aînée. Elle sétonnera de la gloire des projectiles coniques, et elle aura quelque peine à faire la différence entre un général darmée et un boucher ; la pourpre de lun ne lui semblera pas très distincte du rouge de lautre. Une bataille entre Italiens et Allemands, entre Anglais et Russes, entre Prussiens et Français, lui apparaîtra comme nous apparaît une bataille entre Picards et Bourguignons. Elle considérera le gaspillage du sang humain comme inutile. Elle néprouvera que médiocrement ladmiration dun gros chiffre dhommes tués. Le haussement dépaules que nous avons devant linquisition, elle laura devant la guerre. Elle regardera le champ de bataille de Sadowa de lair dont nous regarderions le quemadero de Séville. Elle trouvera bête cette oscillation de la victoire aboutissant invariablement à de funèbres remises en équilibre, et Austerlitz toujours soldé par Waterloo. Elle aura pour "lautorité" à peu près le respect que nous avons pour lorthodoxie ; un procès de presse lui semblera ce que nous semblerait un procès dhérésie ; elle admettra la vindicte contre les écrivains juste comme nous admettons la vindicte contre les astronomes, et, sans rapprocher autrement Béranger de Galilée, elle ne comprendra pas plus Béranger en cellule que Galilée en prison. E pur si muove, loin dêtre sa peur, sera sa joie. Elle aura la suprême justice de la bonté. Elle sera pudique et indignée devant les barbaries. La vision dun échafaud dressé lui fera affront. Chez cette nation, la pénalité fondra et décroître dans linstruction grandissante comme la glace au soleil levant. La circulation sera préférée à la stagnation. On ne sempêchera plus de passer. | |||
"Après tout, lactivité
daujourdhui, les conditions sanitaires et lagriculture en sont encore à
lâge rudimentaire. La science de notre époque ne sest attaquée quà
un minuscule secteur du champ des maladies humaines, mais malgré cela elle étend ses
opérations dune allure ferme et persistante. Notre agriculture et notre
horticulture détruisent à peine une mauvaise herbe ici et là, et cultivent peut-être
une vingtaine de plantes saines, laissant les plus nombreuses compenser, comme elles
peuvent, les mauvaises. Nous améliorons nos plantes et nos animaux favoris et nous
en avons si peu ! par la sélection et lélevage ; tantôt une
pêche nouvelle et meilleure, tantôt une grappe sans pépins, tantôt une fleur plus
belle et plus parfumée, tantôt une espèce de bétail mieux adaptée à nos besoins.
Nous les améliorons graduellement, parce que nos vues sont vagues et hésitantes, et
notre connaissance des choses très limitée ; parce quaussi la Nature est
timide et lente dans nos mains malhabiles. Un jour tout cela ira de mieux en mieux. Tel
est le sens du courant, en dépit des reflux. Le monde entier sera intelligent, instruit
et recherchera la coopération ; toutes choses iront de plus en plus vite vers la
soumission de la Nature. A la fin, sagement et soigneusement nous réajusterons
léquilibre de la vie animale et de la vie végétale pour quelles
sadaptent à nos besoins humains. |
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"Ce réajustement, me disais-je, doit avoir été fait et bien fait" : fait, à vrai dire, une fois pour toutes, dans lespace du temps à travers lequel ma machine avait bondi. Dans lair, ni moucherons, ni moustiques ; sur le sol, ni mauvaises herbes, ni fongosités ; des papillons brillants voltigeaient de-ci, de-là. | |||