Gabriel Foigny,
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Description de la Terre Australe. Carte Géographique de ladite Terre.

CHAPITRE IV

S’il y a quelque chose au monde qui puisse persuader la fatalité inévitable des choses humaines, et l’accomplissement infaillible des événements dont la suite compose la destinée des hommes, c’est assurément l’histoire que je décris ; il n’y a pas un seul trait qui n’ait servi à me conduire, ou à me maintenir dans ce nouveau pays, où il était arrêté que je serais un jour transporté. Il fallait que le grand nombre de mes naufrages, m’accoutumât à les supporter. Les deux sexes m’étaient nécessaires sous peine d’être perdu à mon arrivée, comme on verra dans la suite. Il fallait que je fusse tout nu, autrement j’aurais été reconnu pour l’étranger dans un pays où personne n’est habillé. Sans l’effroyable combat que je fus obligé de soutenir contre les monstrueux oiseaux dont j’ai parlé, et qui me mit en grande réputation parmi ceux qui en furent témoins, j’aurais été contraint de subir un examen qui aurait été infailliblement suivi de ma perte. Enfin, plus on considérera toutes les circonstances de mon voyage et de mes périls, plus on verra clairement qu’il y a un certain ordre de choses dans le sort des hommes, et un enchaînement d’effets, dont rien ne peut empêcher la suite, et qui nous conduisent par mille routes imperceptibles à la fin pour laquelle nous sommes destinés.

La coutume des habitants de ce pays est de ne recevoir personne parmi eux, qu’ils ne sachent auparavant quelle est sa naissance, sa patrie, et son humeur ; mais le courage extraordinaire avec lequel ils m’avaient vu combattre, et de l’admiration duquel ils semblaient ne pouvoir revenir, fit que sans aucune enquête je fus admis dans le quartier voisin, et qu’un chacun me vint baiser les mains : ils voulaient aussi m’élever sur leurs têtes, qui est la plus grande marque de la haute estime qu’ils font d’une personne, mais comme on connut que cela ne se pouvait faire sans m’incommoder, on omit cette cérémonie. Ma réception étant faite, ceux qui m’avaient amené et soulagé me portèrent dans leur maison du Heb, qu’on pourrait rendre en notre langue, Maison d’éducation ; on avait pourvu à ma place et à ma nourriture avec un soin, une diligence et une honnêteté qui surpassent la civilité des Européens les plus polis : à peine fus-je arrivé que deux cents jeunes Australiens me vinrent saluer d’une manière très honnête. L’envie que j’avais de leur parler fit que je me ressouvins de quelques mots que j’avais entendus à Congo, et entre autres de celui de Rimlem, que je leur dis, et qui signifie, je suis votre serviteur, à ce mot me croyant de leur pays, ils s’écrièrent avec de grands signes de joie, le clé, le clé, le clé, c’est-à-dire, notre frère, notre frère ; en même temps ils me présentèrent deux fruits d’une couleur rouge, entremêlée d’azur, j’en mangeai un qui me réjouit, et me fortifia ; on me donna ensuite une espèce de bourse jaunâtre, qui tenait environ un bon verre, que je bus avec un plaisir que je n’avais jamais senti ; j’étais en ce pays, et entre ces nouveaux visages comme un homme tombé des nues, et j’avais peine à croire que je visse véritablement ce que je voyais ; je m’imaginais quelquefois en moi-même que j’étais peut-être ou mort, ou du moins aliéné d’esprit, et quand je me convainquais par plusieurs raisons que je vivais assurément, et que j’avais le sens bon, je ne pouvais me persuader que je fusse en la même Terre, ni avec des hommes de même nature que ceux de l’Europe : je fus entièrement guéri en quinze jours, et j’appris suffisamment la langue en cinq mois pour entendre les autres, et m’expliquer : Voici donc les limites de la terre australe, autant que je les ai pu comprendre par plusieurs relations, et que je les puis décrire selon les Méridiens de Ptolémée.

Elle commence au trois cent quarantième Méridien, vers le cinquante-deuxième degré d’élévation australe, et elle avance du côté de la ligne en quarante méridiens, jusqu’au quarantième degré. Toute cette Terre se nomme Huft. La Terre continue dans cette élévation environ quinze degrés, et on l’appelle Hube : depuis le quinzième méridien la mer gagne et enfonce peu à peu en vingt-cinq méridiens jusqu’au cinquante-et-unième degré, et toute cette côte qui est occidentale s’appelle Hump, la mer fait là un golfe fort considérable qu’on appelle Itab. La Terre repousse ensuite vers la ligne, et en quatre méridiens elle avance jusqu’au quarante-deuxième degrés et demi, et cette côte orientale se nomme Hued. La Terre continue dans cette élévation environ trente-six méridiens, et on l’appelle Huod. Après cette longue étendue de Terre, la mer regagne, et avance jusqu’au quarante-neuvième degrés en trois méridiens, puis elle fait une espèce de demi-cercle en cinq méridiens, la terre tourne, et pousse jusqu’au trentième degré en six méridiens. La côte qui est sur l’Occident se nomme Hug, le fond du Golfe Pug, et l’autre côté Pur. La terre continue environ trente-quatre méridiens, presque dans la même élévation, et c’est le pays de Sub. Après quoi la mer s’enfle, et étant ce semble devenue plus haute qu’à l’ordinaire, elle l’emporte entièrement sur la terre, et enfonce à peu près jusqu’au Pôle, la terre cédant peu à peu jusqu’au soixantième méridien ; on trouve sur cette côte les pays de Hug, Pulg, Mulg ; vers le cinquante-quatrième degré d’élévation on voit l’embouchure du fleuve Sulm, qui fait un golfe fort considérable ; c’est sur les bords de ce fleuve que demeure un peuple qui approche fort des Européens, et qui vit sous l’obéissance de plusieurs rois.

Gabriel Foigny, La Terre australe connue, c’est-à-dire la description de ce pays inconnu jusqu’ici, de ses moeurs et de ses coutumes
1re édition en 1676, Paris : C. Barbin, 1692 (Gallica) p. 81/89