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Dans Le Mou et ses formes, Max Fréchuret a pu parler du "minimalisme
indolent" des sculptures de Barry Flanagan (1) "Sacs de jute remplis de sable, les Casb, les Bundle, les Plant de la fin des années soixante opposent au hiératisme du marbre leur mollesse et leur apathie : sculptures flegmatiques, ne semblant sélever quavec peine ou plutôt tendant à seffondrer, à se coucher, comme si leffort était trop grand, sculptures épuisées. Plus tard, alors même quil opte pour les matériaux durs, Flanagan persiste dans la voie du mou et du boursouflé : avec le marbre des Carving (1981), avec le bronze dElephant (1981), il hausse le matériau classique à la paresse de ses formes. Il nest pas rare, chez Flanagan, que beau rime avec gros. Une beauté qui ne se confond nullement avec un burlesque à la Botero : dans lÉlephant de Flanagan, dans les formes molles et corpulentes de ses Carving, il existe une vraie grâce, une légèreté même, à limage de ces Flying Nessies (1976) où Flanagan octroie le don dapesanteur au monstre pachydermique du Loch Ness. Dans une gravure de 1971, What can the poor apache do , Flanagan a réuni deux gros parmi les plus célèbres de lhistoire moderne : le Père Ubu et W. C. Fields. La présence dUbu na rien de surprenant chez Flanagan , qui na jamais dissimulé ladmiration quil voue à Jarry, un auteur découvert en 1964, et qui restera, pour lui, une référence constante. Si le père Ubu figure en personne dans What can the poor apache do ?, on le retrouvera souvent dans luvre de Flanagan mais de façon implicite, par signe interposé : par la spirale, lemblème dUbu quil porte glorieusement sur son ventre, tel que la représenté Jarry dans ses gravures sur bois (2). |
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Cette spirale est
fréquente chez Flanagan, notamment dans une série de sculptures de 1978
en feuilles de métal découpé et peint The Corns Up ;
Night, Day, Night ; As Night ; Moon Thatch -, mais également
dans des sculptures en pierre telles que Marine Goddess (1978)
ou la série des Carving en marbre de 1981. Il arrive que la spirale
connaisse des formes dérivées, comme la pelure de Untitled, une
uvre en tissu de 1972 qui figure dans une eau-forte de 1973, His
Masters Voice. |
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Alfred Jarry Véritable portrait de Monsieur Ubu, 1896 Bois Henry Monnier Signature imaginaire de Monsieur Prudhomme, 1931 |
À
la fois connue et ventrue, la spirale est aussi la formulation plastique
de ce "Cornegidouille !", le juron favori du Père Ubu, qui
signifie "par la puissance des appétits inférieurs (3)".
Courbe en expansion continue, la spirale est lemblème parfait de lappétit
dévorant du Père Ubu : " Semblable à un uf, une citrouille
ou un fulgurant météore "déclare ce dernier," je roule
sur cette terre où je ferai ce quil me plaira (4)".
Image de la personnalité physique du Père Ubu, la spirale en est également le symbole moral. Elle représente lenflure du personnage, son infatuation, sa propension à lemphase et aux formules creuses. "Ainsi que le coquelicot et le pissenlit à la fleur de leur âge sont fauchés par limpitoyable faux de limpitoyable faucheur (5) ..." : dans le discours dUbu, la surenchère métaphorique vide les mots de leur sens. Cette inflation dimages nest pas sans rappeler les sentences de Monsieur Prudhomme, grand prédécesseur dUbu dans lhyperbole et la redondance. Quand Prudhomme décrétait : "Si Bonaparte fût resté lieutenant dartillerie, il serait encore empereur (6)", Ubu énonce, avec une logique tout aussi implacable, que "nous naurons point tout démoli si nous ne démolissons même les ruines ! Or ne ny vois dautre moyen que den équilibrer de beaux édifices bien ordonnés (7)". À lexemple de la spirale, les formules de Prudhomme et dUbu ont la propriété de se retourner sur elles-mêmes, de revenir à leur point de départ : la fin de la proposition en annule le début et le vide succède à laffirmation la plus péremptoire. La-t-on déjà remarqué ? Le paraphe de Monsieur Prudhomme, tel que la imaginé Monnier, comporte une énorme spirale en son milieu (8). Emblème dUbu, la spirale est le signe de sa nature primitive et rudimentaire. La simplicité de la spirale est celle dune forme première, de lombilic, de latome en révolution infinie autour de son point dorigine. Cette absence de complexité est aussi sa perfection. "Le swedenborgien docteur Misès a excellemment comparé les uvres rudimentaires aux plus parfaites et les êtres embryonnaires aux plus complets, en ce quaux premiers manquent tous les accidents, protubérances et qualités, ce qui leur laisse la forme sphérique ou presque, comme est lovule de M. Ubu, et aux seconds sajoutent tant de détails qui les font personnels quils ont pareillement forme de sphère, en vertu de cet axiome, que le corps le plus poli est celui qui présente le plus grand nombre daspérités (9)." Ce raccourci fulgurant entre lorigine et lachèvement, entre lembryon et la perfection, est au cur de lart de Flanagan. Sculptures-larves, sculptures-chrysalides, ses sculptures en marbre ou céramique sont des corps sans organes, en voie de formation, où les extrémités seules semblent amorcer un développement différencié, comme nous le montrent certains marbres de 1981 et 1982 avec leurs terminaisons spiraloïdes ou torsadées. Il en va pareillement de ses gravures sur linoléum, comme la série des Llandudno : la ligne sy déroule comme un cordon ombilical, avec la simplicité dune forme première et la sophistication dune épure" 1. Maurice Fréchuret, Le Mou et ses formes, Essai sur quelques catégories de la sculpture au XXe siècle, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1993, p. 200. 2. Voir Michel Arrivé, Peintres, gravures et dessins dAlfred Jarry. Collège de Pataphysique, Charleville-Mézières, 1968. 3. Alfred Jarry, " Autre présentation dUbu Roi ", in uvres complètes, tome 1, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1972, p. 402. 4. " César-Antéchrist ", ibid, p. 293. 5. Ibid, p. 319. 6. Cité in Aristide Marie, Henry Monnier 1799-1877, Librairie Floury, Paris, 1931, p. 68. 7. " Ubu enchaîné ", in Jarry, uvres complètes, tome 1, op. cit. p 427. 8. Reproduit in Marie, ibid., p. 271. 9. " Discours dAlfred Jarry prononcé à la première représentation dUbu Roi ", in Jarry, op. cit., p. 399. |