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Par
définition, lutopie suppose, chez ses fondateurs comme chez ses dirigeants, une
profonde connaissance des hommes, mais aussi des choses et de la nature. Aux
philosophes-rois de La République de Platon font écho le législateur inspiré de
lUtopie de More ou les métaphysiciens omniscients de La Cité du Soleil de
Campanella. Mais les premières utopies prennent appui sur une science encore balbutiante
et sur une technologie primitive. En outre, leurs préoccupations dominantes sont celles
de lhumanisme, cest-à-dire essentiellement morales et religieuses. |
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La science au service de lhomme nouveau
Ce nest
quavec la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon que saccomplissent enfin les
noces de la pensée utopique et dune science en train de trouver sa formulation
moderne. La date même de ce texte, 1623, est à elle seule révélatrice. Cest au
paroxysme de la révolution scientifique du XVIIe siècle que Bacon,
lun des principaux acteurs de celle-ci, publie ce qui est à la fois un programme
daction et un testament philosophique : la description dune société dont le
centre névralgique, la Maison de Salomon, se donne pour but de
connaître les causes et le mouvement secret des choses, et de reculer les bornes de
lempire humain en vue de réaliser toutes les choses possibles (trad. M. Le
Duff et M. Lasera, GF-Flammarion, 1995, p. 118). La science, dès lors, nest
plus simplement le privilège des chefs et la condition de leur pouvoir : elle devient le
but même de la cité tout entière, le signe et la condition de son accomplissement. Car
cest par la science que lhomme nouveau se rendra, comme lécrit
Descartes, maître et possesseur de la Nature, cest en la perçant à
jour quil pourra la reproduire, lutiliser, puis la dépasser, affirmant ainsi
la plénitude de son humanité.
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La science au service du bonheur
Cette place centrale
conférée à la science est caractéristique des utopies rationalistes du XVIIe siècle,
puis des Lumières. Pourtant, cest au XIXe siècle que la pensée de Bacon va
trouver ses véritables héritiers, les utopistes assignant alors à la science la mission
déclairer et de guider la technique afin dorganiser sur la terre ce
quannonçait Bacon, la venue du Royaume de lHomme. Cest
probablement chez (et autour de) Saint-Simon que lon rencontre à ce propos les
positions les plus significatives. Dans lâge dor à venir, le monde ne sera
plus gouverné (car lÉtat est condamné à disparaître) mais administré par les producteurs, eux-mêmes guidés et inspirés par les savants.
En 1802, dans ses Lettres dun citoyen de Genève, Saint-Simon imagine déjà, en
pleine fureur napoléonienne, un monde pacifié, dirigé par un groupe de vingt et un
savants élus, le Conseil de Newton – clin dil explicite à la
Maison de Salomon de Bacon. Sous légide de la science,
lhumanité, libérée des guerres, pourra se vouer complètement à la production et
au progrès du savoir, et ne cessera plus de travailler à son propre bonheur. Ainsi,
cest par la science que, dans lutopie, lhomme sélève au-dessus
dune nature quil peut comprendre et transformer, cest par elle
quil parvient à la puissance et à la liberté. Réciproquement, cest grâce
au nouveau système économique et politique que la science pourra prospérer à
linfini.
Mais cest le XXe siècle qui constitue le plein accomplissement de ce mouvement de
la science contemplative vers le savoir technologique, de ce passage de La Cité du Soleil
à la victoire sur le soleil prophétisée par la révolution soviétique,
qui annonce également la naissance dun peuple de savants et dingénieurs. Au
moment où la littérature utopique se fond dans la science-fiction, les
utopies concrètes envisagent le remplacement de la nature par lagir humain.
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