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Un
rêve de transparence
Les utopies sont obsédées par la transparence : cest
ce que signale Dostoïevski quand il parle des cités de cristal,
ou Zamiatine lorsquil imagine un lieu où même les murs sont en verre,
où chacun peut tout voir chez les autres, en haut, en bas et sur les côtés.
La transparence est un moyen de gouvernement, mais elle est aussi, et dabord,
lexpression symbolique la plus forte de la finalité de lutopie
: Je suis sûr, proclame un personnage de Zamiatine, que demain, ni
les hommes, ni les choses ne projetteront plus dombres, le soleil
traversera tout. (Nous autres, trad. B. Cauvet-Duhamel, Gallimard,
1929, p. 94) La transparence constitue en effet le mode ultime de la pureté.
Elle manifeste une cohérence, une unité devenue absolue et doù toute
opacité, toute dissidence a disparu. Le soleil traversera tout
lorsque plus personne nopposera de résistance à la lumière de la raison,
lorsque les derniers vestiges du moi égoïste et nocturne se seront fondus
dans le nous. Mais cette pureté nest jamais spontanée. Elle doit être
planifiée, fabriquée puis défendue, et elle doit lêtre sur tous les
plans à la fois : à la purification de lhomme nouveau correspondent
dune part celle de la société épurée, de lautre celle dun
environnement hygiénique et domestiqué. |
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Une
cité sans ombres
Cest sur lenvironnement, naturel et urbain, que sexerce dabord cet
effort. Dans les utopies classiques, la nature encore menaçante est mise au pas : on la
retranche, on laplanit, on lassèche, quand on ne lexpulse pas hors des
murs de la cité. À partir du XVIIIe siècle, la nature est suffisamment
domestiquée pour être réintégrée dans la cité parfaite, pour apparaître, non plus
comme lantithèse, mais comme le prolongement de la ville.
Car cest bien cette dernière qui, sur ce plan, occupe le centre de
limaginaire utopique. Elle symbolise ce qui, étant intégralement construit,
constitue le pur reflet de la volonté et des besoins de lhomme nouveau. La ville,
donc, mais pas nimporte laquelle : celle de lutopie est étrangère à
lhistoire, jaillie dun seul coup, comme hors du temps. Elle ignore les taudis,
les ruelles et les ruines, et sinscrit dans lespace suivant les seules règles
de la géométrie : de la lumière, des lignes droites, du soleil partout.
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Une
société sans dissidence
À cet urbanisme rationnel correspond, sur le plan social, une hygiène
dominée par le même idéal de pureté et de simplification. Là encore, tous
les groupes sociaux doivent sunir et se subordonner à lensemble.
Le cas échéant, lorsquils apparaîtront contraires à sa logique ou
susceptibles de créer des contre-pouvoirs, ils disparaîtront. Doù
lattitude de lutopie à légard de la famille, comme de
toutes les sociabilités qui ne résultent pas directement de sa propre intervention.
Tout ce qui ne procède pas delle, tout ce qui pourrait lui échapper
est perçu comme une anomalie monstrueuse, une impureté condamnable.
Les systèmes totalitaires, et les contre-utopies qui les dépeignent comme
des utopies en acte, montrent quau sein même des groupes spécifiques
qui forment les piliers de la société nouvelle, la pureté est un idéal perpétuellement
menacé, nécessitant un effort constant dépuration, de purge, délimination,
qui finit par créer une véritable spirale de la terreur. |
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Tel
est le prix à payer pour lavènement de la pureté, pour lapparition
dune humanité nouvelle où il nexistera plus aucune rupture entre
lêtre et le devoir être, entre lobligation et le désir, une
humanité non seulement totale, pleinement et exclusivement humaine, mais
aussi intégralement rationnelle et morale. Ce qui, précise le héros de Zamiatine,
exigera simplement quelle renonce à lultime source dimpureté
: limagination
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