|
|
|
Une
longue attente
Parmi
les premiers chrétiens, nombreux sont ceux qui attendent avec ferveur le retour du Christ
sur la terre, lavènement dun royaume millénaire destiné aux seuls justes,
dont Pappias, Justin, saint Irénée, Tertullien se font lécho. Certains même
anticipent cette venue dans une ascèse extatique destinée à transformer, au plus vite,
lÉglise en la communauté des saints. |
|
|
|
Cependant,
au fur et à mesure que lattente se prolonge, apparaissent des tentatives pour
linsérer dans un cadre chronologique. Fondant tout son raisonnement sur
lanalogie avec luvre divine des sept jours, saint Hyppolite, au début
du IIIe siècle, en calcule léchéance, vers lan 500 :
"Oui le millénium viendra, mais il faut patienter encore 300 ans :
ce ne sera pas de notre vivant." Lexaltation dune imminence
possible le cède à lespérance, espoir toujours tangible, à lintérieur
duquel chacun sefforce de scruter les "signes" prémonitoires,
tout en gauchissant parfois la chronologie. |
|
|
|
Une
lecture et une aspiration combattues par saint Augustin dans La Cité de Dieu. Le
règne du Christ nest plus à venir. Il a déjà commencé. Si les justes, membres
de la cité céleste, sont encore mêlés à la cité terrestre, le temps de lultime
partage viendra avec lavènement définitif de la Jérusalem céleste. Le texte de
lApocalypse sort de lhistoricité. Le millénium est apprivoisé et
canalisé : "Quant à ce jour et à cette heure, nul ne les connaît, pas
même les anges, pas même le Fils, mais le Père seul." (Mt, XXIV, 36). |
|
|
|
|
|
|
|
La
fin du monde
En dépit de cette
cristallisation de la doctrine officielle de lÉglise, des textes dinspiration
contraire, véhiculant des thèmes plus anciens, difficiles à refouler, ont continué à
circuler : la Description de la fin des temps du Pseudo-Méthode, texte
dorigine syrienne datant de la fin du VIIe siècle, le De
nativitate et obitu Antichristi du moine champenois Adson de Montier-en-Der, du Xe siècle,
lOracle de la sibylle tiburtine, composé en Italie du Sud et construit à
partir dun texte grec du Ve siècle. Tous racontent à peu près la même
histoire : celle de lEmpereur des "derniers jours" qui
viendra à Jérusalem déposer ses insignes sur le mont des Oliviers et dont le règne
doit précéder la venue de lAntéchrist et la fin des temps.
Cest cependant, au XIIIe siècle, par les commentaires de Joachim de
Flore que le texte de lApocalypse va retrouver son épaisseur historique. Relisant
lhistoire du salut au crible du livre, le moine cistercien annonce de façon
prophétique, non pas une fin, mais lavènement dun âge de lEsprit. Ses
disciples, comme Gérard de Borgho San Donnino ou Pierre Jean Olieu, le pressentent
imminent, quand dautres, tel Arnaud de Villeneuve ou surtout Jean de la
Roquetaillade, sefforcent den découvrir les prémices dans
linterprétation des événements politiques contemporains. |
|
|
|
|
|
|
|
Le
triomphe des pauvres
Mais cest surtout au niveau populaire que resurgit avec une nouvelle vigueur le
thème dun millénium incarné dans le temps de lhistoire. Les mouvements
réformateurs des XIe et XIIe siècles, érémitiques,
monastiques et réguliers, en réaffirmant les exigences de lascèse et de la
pauvreté comme nécessaires pour se préparer à lattente du Jugement, avaient pu
fortifier la conviction dune sorte délection principielle des pauvres,
prédestinés à devenir les héritiers dun royaume où le terrestre ne le céderait
plus entièrement au céleste : "Bienheureux les pauvres car le Royaume de
Dieu est à eux." (Luc, VI, 20). |
|
|
|
De
fait, au XIIIe et surtout au XIVe siècle, lattente
eschatologique est le vecteur ou sexprime avec force lopposition dune
légitimité des pauvres et des faibles face au monde des riches et des puissants. Elle a
pu, dans certains cas, prendre une tournure millénariste, conduire les plus humbles à
lattente dun millénium égalitaire, aspiration à une sortes
dâge dor où sétablirait, ici-bas et maintenant, la justice dune
société parfaite comme préfiguration et ébauche de la Jérusalem céleste :
"Quand Adam bêchait et quÈve filait, où donc était le
gentilhomme ?"
|