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En ce qui concerne la famille, lutopie sinspire directement de La République de Platon, où la communauté des femmes et des enfants, au sein de la caste des gardiens, abolit tout lien de parenté particulier et conduit chacun à se dévouer à tous, comme il le ferait sinon à sa seule famille : "Chacun croira voir dans les autres un frère ou une sur, un père ou une mère, un fils ou une fille." | |||
La famille naturelle : un contre-pouvoir à démanteler En fait, lattitude de lutopie doit senvisager sous deux angles complémentaires. Sous un angle négatif, dabord, labolition de la famille supprime un lieu de recours, de retrait ou de résistance, un contre-pouvoir dautant plus menaçant quil se réclame de la nature et sappuie sur laffection, en deçà de toute considération rationnelle. Concurrence insupportable à lutopie, qui nenvisage les êtres que sur un mode individuel, soumis à la raison et à sa loi. Sous un angle positif, ensuite, lutopie exige quà la famille traditionnelle, obstacle à son action rédemptrice, se substitue une "nouvelle famille", globale et non particulière, qui nest autre que la cité elle-même. Cest à cela quen viennent finalement toutes les utopies conséquentes y compris celle de Thomas More où, grâce à la suppression de la propriété, "toute lîle [ ] forme une seule famille" (Utopie, op. cit., p. 163), la seule véritable. Quant à la famille naturelle, elle ny subsiste plus que dans les strictes limites des règles qui la définissent, notamment quant au nombre de ses membres, établi autoritairement "grâce au passage, dans une famille trop peu nombreuse, des membres qui en excèdent dans une autre" (p. 155). La famille biologique, dépourvue de valeur propre, nest plus quune unité de mesure ou de regroupement fixée par la loi. Le dévouement et la fidélité du citoyen pourront ainsi se reporter intégralement sur la " grande famille " et sur ses dirigeants, que "lon nomme pères, et qui se conduisent comme sils létaient" (p. 196). |
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Une
seule vraie famille : lÉtat Après lutopie fondatrice de More, loffensive saccentue encore, mais toujours dans la même perspective. La famille nest, au fond, quun enjeu de pouvoir, que lÉtat manipulera en fonction de ses objectifs, tantôt en la supprimant, tantôt en lutilisant. Dans La Cité du Soleil de Campanella, par exemple, le père nest plus quun géniteur anonyme, instrument docile au service dune politique eugéniste. Il ne pourra choisir ni sa partenaire dun soir, ni le lieu, le jour et lheure de laccouplement. Au siècle suivant, les utopies rationalistes ambitionnent surtout de lui enlever toute influence sur léducation, devenue leur souci premier " car la qualité de père ne donne point la raison, loin de cela ", et il est donc " fort sage de ne confier léducation des jeunes gens quà des personnes capables de cet emploi " (C. Gilbert, Histoire de Calejava, s.l., s.n.e., 1700, p. 128-129). La visée semble plus modeste, mais le moyen est identique. À peine sevré, lenfant est adopté par lÉtat, qui désormais soccupera entièrement de lui, jusquà sa mort, et constituera à lui seul sa véritable famille. |