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Élaborée
et construite par lhomme, lutopie suppose par définition une victoire sur la
nature, une utilisation et un dépassement du "donné" brut.
Cest ce qui ressort, sur un mode métaphorique, des premières pages du
livre II de lUtopie de More, qui constitue le point de départ à la
fois de luvre et du genre tout entier : "La région autrefois
nétait pas entourée par la mer avant dêtre conquise par Utopus, qui devint
son roi et dont elle prit le nom." Cest alors "quUtopus
décida de couper un isthme de quinze miles qui rattachait la terre au continent et fit en
sorte que la mer lentourât de tous côtés [
]. Louvrage fut accompli en
un temps incroyablement court, si bien que les voisins [
] furent frappés
dadmiration, et aussi deffroi, à la vue du résultat." (trad.
M. Delcourt, GF-Flammarion, 1987, p. 138-139). Le volontarisme utopique se
manifeste de façon spectaculaire par cette transgression : la création dune
île artificielle où la perfection pourra sétablir à labri des menaces du
dehors.
Combat
Expression radicale de
la modernité naissante, lutopisme ne se résigne plus, comme le faisait la pensée
médiévale, à lhumilité et à la soumission face à une nature hostile. Elle
proclame au contraire la venue dun homme nouveau, "maître et
possesseur" dune nature dévoilée, et bientôt asservie grâce à la
technique et à la machine. La logique de lutopie est celle dune domination de
la nature. Cependant, cette pensée étant elle-même largement tributaire de
lévolution de son environnement, notamment technologique, la façon de concevoir
cette domination a pris, au cours de lhistoire de lutopie, plusieurs formes
successives. |
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Victoire
Dans un premier temps,
jusquà la fin du XVIIe siècle, la nature, encore opaque et
menaçante, est violemment mise au pas. Dans les utopies les plus systématiques, comme Les
Aventures de Jacques Sadeur de G. de Foigny (1676), elle se trouve littéralement
refoulée, lauteur mettant en scène des surhommes hermaphrodites qui manifestent le
triomphe de lesprit sur la matière et sur la nature. Au temps des jardins à la
française, lutopie transforme la géographie en une géométrie où les villes,
autre symbole essentiel, figurent des carrés ou des cercles "absolument
parfaits" (A. F. Doni), où les fleuves sont canalisés et les
montagnes nivelées. Rien ny subsiste plus de la nature rétive et imprévisible de
jadis, et la météorologie elle-même se plie aux exigences de la raison et de
lagriculture. |
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Réconciliation
Après la révolution
scientifique du XVIIe siècle, après Descartes et Newton, lissue du
combat avec la nature ne fait plus aucun doute : cest lhomme qui la
emporté. Dès lors, les rapports se détendent, et, dans la nature quenvisage la
pensée utopique, le jardin (à langlaise) a pris la place des forêts et des
marécages. Cest dailleurs après la révolution industrielle du XIXe siècle
que cette tendance apparaîtra avec le plus dévidence comme dans les Nouvelles
de nulle part (1890) de William Morris, où lharmonie résulte du dépassement
dune technique primitive et de la réconciliation de lhomme désormais
tout-puissant avec une nature apprivoisée. |
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Retour
à la nature
Au XXe siècle,
le courant utopique semble, sur ce point, se scinder en deux branches antagonistes. Aux
utopies technologiques, utilisées ou suscitées par les systèmes totalitaires,
sopposent des utopies du renoncement à la technique et du retour à la nature, en
particulier dans le monde anglo-saxon daprès-guerre (A. Huxley, Île,
1963 ; E. Callenbach, Ecotopia, 1975). Comme si la pensée utopique ne
pouvait décidément plus, sans éclater, assumer la complexité du XXe siècle,
les espoirs et les menaces simultanées de la révolution technologique. |
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