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En utopie, tout est subordonné au Tout, soumis à une logique et à des
règles rigoureuses. Rien nest laissé au hasard, pas même les beaux-arts qui,
comme le reste, doivent être pensés et organisés en fonction de la cité. Dans
lutopie, lart na quun seul objectif : éduquer les citoyens,
les rendre meilleurs en les persuadant de se soumettre totalement à la loi, et plus
heureux en la leur faisant aimer. "Lart pour lart"
ny a pas sa place, et même la question classique de la
"beauté" sy trouve, pratiquement, évacuée : nest
beau que ce qui est conforme au bien du groupe, cest-à-dire ce qui manifeste et
célèbre ses principes. Cest de la contemplation de cette beauté que le spectateur
tirera un plaisir esthétique, qui mettra un comble à la félicité quil éprouve
en tant que citoyen. |
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Une
activité sous haute surveillance
Pour les utopies,
lart na donc jamais été une préoccupation secondaire : ses enjeux sont
trop considérables pour quon sen désintéresse. Cest pourquoi on va y
réglementer la création artistique, mais aussi y déterminer à lavance ce que
doit être le contenu des uvres.
Sans doute est-ce dans lIcarie dÉtienne Cabet (1840) que se rencontre
la réglementation la plus minutieuse de la création artistique. "Il y aura
[
] dimmenses ateliers pour les écrivains (historiens, poètes) [
] et
pour les artistes (peintres, sculpteurs, etc.), avec des salles immenses pour les examens,
les concours et les discussions." Cest là que les artistes
"nationaux", sélectionnés et instruits dans ce but, devront créer
sous le contrôle permanent de la République, qui a seule le pouvoir de faire imprimer
les livres et dagréer les uvres. Quant aux "mauvais
artistes", ceux dont les créations nont pas été jugées conformes ou
dignes, ils nauront pas droit à la parole, et ils ne sauraient sen plaindre,
dès lors quils sont, de toute manière, logés et nourris par lÉtat. Le
résultat de cette création sous haute surveillance est parfaitement calibré :
"Lheureuse Icarie na plus rien de mauvais, plus rien de médiocre
même, et presque la perfection en tout" (Voyage et aventures de lord
Carisdall en Icarie, H. Souverain, t. I, p. 4-9). |
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Lart
au service de léducation du citoyen
La perfection en
tout, et pas seulement dans la forme. Car lart nest en utopie que
lune des innombrables branches de léducation. Cest pourquoi, loin de
tout ésotérisme et de toute abstraction, il doit impérativement exprimer avec la plus
grande clarté les principes de la cité. Ainsi, larchitecture doit y être
"parlante". Au XVIIe siècle, Campanella fait
figurer les lois de sa Cité du Soleil sur les murailles qui lentourent. À la fin
du XVIIIe siècle, les architectes Ledoux ou Boullée vont plus loin
encore, puisque cest le bâtiment lui-même qui, par son dessin, sa taille, sa
situation, doit manifester une vérité ou célébrer une loi. Rien nest muet dans
la cité parfaite, pas même les murs. Et le reste est à lavenant : la musique
y sera symphonique, la poésie lyrique, la sculpture et la peinture réalistes. La
lisibilité du message éducatif est la qualité première de luvre
dart, et la preuve même de son orthodoxe.
Quant au créateur, il nappartient plus à une quelconque
"élite" ni à une caste fermée. Outre le fait que ceci serait en
contradiction avec le principe dégalité, lidéal dune fusion entre
travail manuel et intellectuel, entre production et création, constitue lun des
lieux communs de la pensée utopique. Dans la cité à venir, labondance des biens
et des loisirs permettra à tous de sadonner aux arts, et à la masse ouvrière de
devenir, comme dans les utopies de W. Morris,
dAnatole France ou de Zola, un peuple dartistes. Cest ainsi que
la boucle se clôt : éduqués par lart, les citoyens de lutopie
finissent par séduquer eux-mêmes en devenant "des héros de la science
et de la beauté".
(É. Zola, Travail, Fasquelle, 1901, p. 649). |
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