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Le récit de voyage change constamment
de visage, s'inspirant et nourrissant d'autres genres. Voici les
principales formes qu'il revêt.
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Les
récits prescriptifs |
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Le plus ancien type de récit
de voyage, le guide de pèlerinage, apparu vers l'an mil,
fut longtemps un discours très stéréotypé :
la guilde, écrite en latin pour des clercs, se réduit
à une énumération de sanctuaires et de reliques,
émaillée de conseils pratiques et de mises en garde.
À la fin du XIIIe siècle, les pèlerins,
après avoir dûment accompli leur parcours spirituel,
s'autorisent, sur le chemin du retour, des descriptions de plus
en plus exotiques et profanes : le récit de voyage commence
donc par la fin ! Ancêtre de nos guides touristiques,
le Tour pédagogique se développe au XVIIe siècle et offre aux jeunes aristocrates un vade-mecum des
connaissances politiques et surtout artistiques conforme à
l'attente mondaine de la société. Mais il ne retient
encore que les villes-étapes et néglige le déplacement
lui-même.
L'art de voyager connaît un immense
succès jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Publié en annexe ou en préface à des récits
de voyage, il prodigue au voyageur des conseils sur la manière
"philosophique" de voyager et d'écrire. Le plus célèbre
est la préface au Voyage en Hollande (1774) de Diderot.
Bien plus récentes, Les Recommandations aux promeneurs
(1988) de Jacques Réda adoptent un ton plus enjoué
et ironique.
Notre guide touristique moderne propose,
lui, des itinéraires aux lecteurs et fait la promotion d'une
région. Déjà, George Sand, dans ses Promenades
autour d'un village (1860), vantait les avantages touristiques
d'un pays qui lui était cher.
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Les
rapports |
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Mandaté par une autorité,
le voyageur a longtemps présenté sa relation comme
un rapport.
Le récit diplomatique mêle
l'autobiographie et le rapport officiel. Un journal comme celui
de Volney sur la situation en Turquie estompe soigneusement les
traces de son énonciation dans une logique tout argumentative.
Dans le récit de voyage colonial, écrit depuis la
conquête du Nouveau Monde, perce un discours commercial :
la relation néglige les aventures du peuple pour ne s'intéresser
qu'aux ressources systématiquement recensées. Ainsi,
dans son Brief Récit (1536), Jacques Cartier décrit
de beaux arbres qui sont déjà, dans l'esprit du navigateur,
des mâts de "navires de trois cents tonneaux et plus". On
peut ranger aussi sous cette rubrique les lettres édifiantes
de missionnaires, et notamment des jésuites, qui dressent
un rapport à leur ordre, tentent de séduire des prosélytes,
mais chassent les curiosités et les péripéties
aventureuses.
Le récit scientifique du XVIIIe
siècle, comme ceux de Bougainville et de La Pérouse,
est structuré par un système préétabli
de l'évolution de l'humanité. Il s'agit de vérifier
une pensée que l'on a déjà conçue. Avec
l'explosion ultérieure des disciplines scientifiques, le
"genre" va connaître un immense succès et, grâce
à leurs journaux révéler les découvertes
des naturalistes (Darwin), des géographes (Élisée
Reclus), des ethnologues (Lévi-Strauss). La foi dans le progrès,
au XIXe siècle, conduit des auteurs à mener
des enquêtes sociales dans des régions isolées
que l'on veut arracher à l'obscurantisme et à la misère.
Ces comptes rendus militants, comme ceux de Blanqui ou de Flora
Tristan, dressent des constats, dénoncent les archaïsmes
en analysant les causes et proposent des solutions.
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Les
récits autobiographiques |
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Du simple journal de bord, dans lequel
le marin consigne longitude, latitude et force des vents, au journal
d'introspection, la longue histoire du journal recouvre celle des
récits de voyage et de la subjectivité. Cette forme
souple, la plus pratiquée par les voyageurs, dispense du
souci de la composition, puisque la date et le lieu peuvent en être
le principe organisateur. Elle reflète le double voyage,
extérieur et intérieur ; elle facilite l'identification
du lecteur au narrateur et l'aventure semble se vivre au fil des
mots.
La lettre hérite d'une tradition
oratoire plus ancienne et implique des conventions sociales, ce
qui rend sa spontanéité plus ambiguë. L'adresse
à un destinataire unique, qui la situe entre l'intimité
et le public, plaide en faveur de son authenticité. Plus
encore que le journal, la lettre est un certificat de voyage, même
quand elle est fictive ! L'engouement pour cette forme découverte
au XVIIe siècle disparaît progressivement
au cours du XIXe siècle, au moment où le
journal est reconnu comme œuvre littéraire et où l'illusion
d'un correspondant paraît vaine.
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Fictions :
les voyages imaginaires |
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Le récit de voyage connaît,
à partir de 1630, un essor considérable en divertissant
par ses aventures de plus en plus romanesques ; il inspire
le roman de voyage imaginaire : Les Avantures de Télémaque
(1699) de Fénelon miment l'écriture "blanche" du récit
de voyage, tandis que le Robinson Crusoé (1719) de
Daniel Defoe en adopte la forme.
Le roman de voyage connaît, de
nos jours, un nouvel élan avec la world fiction, ou travel
writing, qui, comme son nom l'indique, naît d'une tradition
anglo-saxonne, celle de Stevenson et de Conrad. En réaction
à un certain formalisme du roman contemporain, ces récits
cultivent ce que Kenneth White appelle I'"esprit nomade" ;
leurs auteurs (Bruce Chatwin, J.M.G. le Clézio, Jacques Lacarrière,
Nicolas Bouvier...) interrogent leur relation avec un monde en voie
de disparition afin de retrouver une sorte de compréhension
épiphanique du réel.
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Récit
de voyage et poésie |
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Des tentatives pour allier l'aventure
du voyage et la poésie ont été proposées,
dès le XVIe siècle, avec des récits
versifiés de marins. Le prosimètre, en réaction
au didactisme triomphant du XVIIe siècle, relate
un voyage "en mariant les fictions de la poésie et l'exactitude
de la prose". Propice aux badinages mondains dans les "Allées
du Jardin du Monde", le voyage en prosimètre, auquel se sont
essayés Racine, La Fontaine et Voltaire, circule sous forme
de lettres familières et fourmille d'anecdotes puisées
dans la vie quotidienne.
Ce sont peut-être les poètes
qui, au XXe siècle, ont le mieux exalté
la rêverie de l'Ailleurs dans une poésie du voyage :
Segalen, Claudel, Cendrars, Saint-John Perse, Michaux, Réda,
Bonnefoy... Encline à la contemplation, la poésie
s'oppose à l'action. Sa recherche d'une unité du monde
ne peut se satisfaire de la fragmentation du temps et des horizons
que l'on observe dans le récit de voyage. La poésie
exprime davantage un appel du départ pour un voyage intérieur.
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Les
récits en images |
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Aux XIXe et XXe
siècles, les moyens modernes de captation et de reproduction
du réel offrent au récit de voyage d'autres voies
que celle du carnet de croquis du peintre voyageur. C'est le cas
de la photographie. Dès les années 1840, elle seconde
l'expérience du voyageur et en authentifie le cheminement.
À la faveur de missions scientifiques ou archéologiques,
comme celle accomplie en Orient par Maxime Du Camp en compagnie
de Flaubert, les photographes publient des albums. Mais, entre le
succès de la photographie "pittoresque", qui nie la spontanéité,
et le développement du reportage, qui privilégie le
spectacle de l'événement, la "vision d'auteur" du
photo-journal ne s'impose guère. Parmi quelques démarches
à l'ambition autobiographique, citons celle de Raymond Depardon
qui, en 1999, fait parvenir quotidiennement au journal Libération
une vue de Berlin accompagnée de notes personnelles ;
celle de Nicolas Bouvier, iconographe voyageur ou "chercheur d'images" ;
ou encore celle de Gérard Rondeau qui, parcourant le Maroc
entre 1994 et 1999, rend "hommage à Delacroix" et aux orientalistes.
Le film de voyage est essentiellement
une affaire privée. Peu d'œuvres de cinéma peuvent
se définir comme "récits de voyage", hormis les très
personnelles Lettres d'amour en Somalie (1982) de Frédéric
Mitterrand et Une femme en Afrique (1983) de Raymond Depardon,
où l'un à la façon d'une correspondance et
l'autre sur le mode du journal commentent, en voix off, les
images d'un voyage accompli en Afrique de l'Est.
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