À la confluence de plusieurs genres
 
 

Le récit de voyage s'est donc profondément renouvelé depuis son apparition et ne se laisse souvent définir que par défaut. Qu'on l'aborde sous l'angle du destinataire, de l'énonciateur ou de sa forme, il apparaît aussi fluctuant.

Les préfaces des auteurs proposent fréquemment un pacte de lecture, comme si le texte toujours unique nécessitait un mode de lecture inédit. De plus, elles forgent un horizon d'attente qui se déplace progressivement. La mention d'un destinataire précis est déterminante pour la forme et les enjeux du récit. Or l'examen de ces préfaces révèle que les écrits des voyageurs s'adressent à un destinataire multiple, aussi mouvant que le genre lui-même. Jean de Léry se montre embarrassé d'écrire à la fois pour les marins, les scientifiques et un public lettré. Le statut du destinataire chancelle davantage avec la floraison de lettres fictives adressées à un lecteur réel et le plus souvent composées ultérieurement.

 
 
 

Au XIXe siècle, le destinataire institutionnel, économique, politique ou ecclésiastique tend à disparaître, entraînant le repli des récits de voyage dans la sphère privée de l'autobiographie. Passé l'exaltation du moi romantique, le je se réduit à un regard esthétisant qui déréalise le monde tout en tenant le sujet en retrait.

 
 
 

Les formes les plus courantes du récit de voyage, le journal, la lettre et le récit composé, se caractérisent par l'absence de contraintes internes. Le récit de voyage emprunte des traits aux autres genres, sans se soucier de son homogénéité. Il s'inspire du roman, mais juxtapose des lieux et non des actions, ce qui le dispense d'enchaîner descriptions et digressions à des fins dramatiques. Inséré dans un recueil, il tend à devenir un essai documentaire où s'estompe le point de vue singulier du narrateur. Ainsi, le second voyage de Dumont d'Urville en Antarctique ne compte pas moins de trente volumes et nécessite, pour sa rédaction, la collaboration d'une dizaine de scientifiques. Le récit de voyage fait même des incursions dans la poésie avec le Voyage de Hollande (1965) d'Aragon, rédigé en vers.
 

 
 
 

suite : une esthétique du discontinu