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On peut compter comme une seconde expérience
du daguerréotype, aussi décevante que la première,
celle que Nerval fera avec son propre portrait. Sans doute pouvait-il
craindre que cette invention ne se retourne contre lui et que, de
piètre opérateur, il passe au statut de mauvais modèle :
"La maladie m'avait rendu si laid – la
mélancolie si négligent. Dites donc, je tremble ici
de rencontrer aux étalages un certain portrait pour lequel
on m'a fait poser lorsque j'étais malade, sous prétexte
de biographie nécrologique. L'artiste est un homme de talent,
plus sérieux que Nadar, qui n'a que de l'esprit au bout de
son crayon ; mais, comme notre ami aux cheveux rouges, il fait
trop vrai ! / Dites partout que c'est mon portrait ressemblant,
mais posthume, – ou bien encore que Mercure avait pris les
traits de Sosie et posé à ma place. / [...] / Infâme
daguerréotype ! tu pervertis le goût des artistes.
- M. Gervais est pourtant un si habile graveur !"
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Cette lettre date le premier portrait
connu de Nerval entre la fin de l'année 1853 et les débuts
de 1854, période durant laquelle il est une nouvelle fois
interné dans la clinique du Dr Blanche.
Ce daguerréotype est réalisé par Adolphe Legros.
L'épreuve nous montre un homme âgé de 45 ans,
aux traits tirés, prenant la pose. L'attitude est empruntée,
maladroite, faussement inspirée. Cette image mélancolique
servira de modèle à un portait gravé pour le
frontispice de la première biographie de Nerval, rédigée
par Eugène de Mirecourt et éditée en 1854.
Il faut comprendre ainsi le passage
qui précède : Nerval craint de rencontrer aux
étalages des librairies le portrait gravé inspiré
du daguerréotype pour lequel il a posé.
L'expérience du daguerréotype
par Nerval prend fin au seuil du studio des frères Tournachon,
quelque part entre le 19 octobre 1854 (date de la sortie de son
dernier séjour dans la clinique du Dr Blanche) et la nuit
du 25 au 26 janvier 1855 (pendant laquelle il met fin à ses
jours), dont sont issues deux photographies, réalisées
toutes deux par Nadar. Celui-ci,
en 1891, datera ces images d'une semaine avant le suicide. Cette
affirmation, à trente ans de distance, est à prendre
avec précaution, mais l'on se plaît habituellement
à voir ici la dernière image du poète, dont
on perd la trace dans les semaines précédant le geste
fatal. Plus qu'une valeur d'acquiescement, les deux images au collodion
de Nadar représentent un abandon. Coutumier, pendant ses
crises, des phénomènes d'autoscopie, et obsédé
par la possible existence d'un double hostile, Nerval nous laisse
un de ces spectres auxquels il voulait bien croire et dont il parsème
son œuvre : "II crut que c'était son ferouer, ou
son double, et, pour les Orientaux, voir son propre spectre est
un signe du plus mauvais augure. L'ombre force le corps à
la suivre dans un délai d'un jour."
L'expérience daguerrienne de
Nerval est en ceci singulière qu'elle s'effectue en parallèle
avec l'expérience du réalisme en littérature.
Nerval ouvre le débat et, à la manière d'un
scientifique, fait des expériences et rédige des conclusions.
Sans même participer réellement aux discussions autour
de la photographie, Nerval à l'épreuve des faits se
forge une opinion, qui, de son voyage en Orient à son portrait
gravé, n'évolue guère : le daguerréotype,
instrument dangereux et compliqué, "fait trop vrai". La mise
en échec simultanée et répétée
du daguerréotype et du réalisme par l'expérience
incite à distinguer l'hostilité de Nerval face au
daguerréotype d'autres anathèmes lancés contre
la photographie : l'esprit de Nerval s'oppose au daguerréotype
comme le rêve s'oppose à la réalité – opposition
de nature, non de principe.
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