James Robertson (1813-1888)
par Sylvie Aubenas

 

James Robertson était, semble-t-il, graveur en chef et surintendant de la Monnaie impériale à Constantinople depuis 1841. Il avait été précédemment, dans les années 1833-1840, graveur de gemmes. Il ouvrit un atelier dans le quartier européen en 1854, et l'on peut dater ses premières images de cette époque. Associé à l'Italien Antonio Beato, dont il épousa la sœur en 1855, il photographia Constantinople (1854), Jérusalem (1857), Athènes, les monuments d'Égypte. Entre-temps (septembre 1855-juillet 1856), il produisit aussi un "reportage" de cent cinquante photographies de la guerre de Crimée.

Ses vues de Constantinople furent publiées, sous forme de gravures, dans The Illustrated London News, entre juillet et décembre 1854. Elles servirent aussi de modèles aux gravures qui illustrèrent, la même année, la traduction anglaise du Constantinople de Théophile Gautier. Enfin, elles furent présentées à l'Exposition universelle de Paris en 1855.

Robertson travaillait déjà avec le négatif sur verre au collodion. Les tirages connus sont, pour la plupart, des papiers salés, certains d'une qualité inaccoutumée pour un atelier commercial. Outre leurs mérites techniques, l'attrait de ses œuvres réside surtout dans l'association inhabituelle du paysage ou de la vue d'architecture avec des personnages. Le compromis est parfait, entre le style des vues lithographiques, toujours animées par quelques figurants, et la pratique photographique du début des années 1850 qui, pour des raisons essentiellement techniques, éliminait généralement la présence humaine (à l'exception du petit personnage donnant l'échelle) lorsqu'elle n'était pas le sujet principal. Robertson dispose lui-même ses personnages, solitaires ou par groupes, mais donne toujours l'impression que, passants ou petits marchands, il les a trouvés sur place, attirés par la prise de vue, et l'ensemble reste empreint de naturel. Dans la vue de la Base de l'obélisque (de Théodose), à Constantinople, on voit un couple – un homme et une femme voilée – au pied du monument, en conversation ; c'est une bonne vue archéologique avec une concession au pittoresque, aussi bien qu'une scène de genre à prétexte archéologique. Ernest Lacan, dans son compte rendu de l'Exposition universelle de 1855 à Paris, n'hésite pas à comparer ces compositions aux œuvres du peintre orientaliste Decamps.

La prédominance écrasante de Robertson dans les images rassemblées par le duc de Chartres et le comte de Paris en souvenir de leur voyage de 1859-1860 atteste suffisamment que ces épreuves de qualité étaient proposées à la vente à cette date, soit sur place, soit à Londres. Et elle illustre la part que peut prendre désormais le goût de l'acheteur dans le choix d'une image : d'autres photographes, en effet, comme Frith ou Hammerschmidt, vendaient à la même époque des sujets similaires, et il n'est pas interdit d'avancer que, dans cette situation de concurrence, les deux illustres voyageurs leur auront préféré volontairement les travaux si séduisants de Robertson.