Octave : L'homme d'affaire et les femmes : pratique

 

 

 

 


Des voix répétaient, au milieu de légers rires :
– Monsieur Mouret ! monsieur Mouret !
Et comme celui-ci, contrarié d'être interrompu, feignait de ne pas entendre, Mme de Boves, debout depuis un moment, vint jusqu'à la porte du petit salon.
– On vous réclame, monsieur Mouret... Ce n'est guère galant, de vous enterrer dans les coins pour causer d'affaires.
Alors, il se décida, et avec une bonne grâce apparente, un air de ravissement, dont le baron fut émerveillé. Tous deux se levèrent, passèrent dans le grand salon.
– Mais je suis à votre disposition, mesdames, dit-il en entrant, le sourire aux lèvres.
Un brouhaha de triomphe l'accueillit. Il dut s'avancer davantage, ces dames lui firent place au milieu d'elles. Le soleil venait de se coucher derrière les arbres du jardin, le jour tombait, une ombre fine noyait peu à peu la vaste pièce. C'était l'heure attendrie du crépuscule, cette minute de discrète volupté, dans les appartements parisiens, entre la clarté de la rue qui se meurt et les lampes qu'on allume encore à l'office. M. de Boves et Vallagnosc, toujours debout devant une fenêtre, jetaient sur le tapis une nappe d'ombre ; tandis que, immobile dans le dernier coup de lumière qui venait de l'autre fenêtre, M. Marty, entré discrètement depuis quelques minutes, mettait son profil pauvre, une redingote étriquée et propre, un visage blêmi par le professorat, et que la conversation de ces dames sur la toilette achevait de bouleverser.
– Est-ce toujours pour lundi prochain, cette mise en vente ? demandait justement Mme Marty.
– Mais sans doute, madame, répondit Mouret d'une voix de flûte, une voix d'acteur qu'il prenait, quand il parlait aux femmes.
Henriette alors intervint.
– Vous savez que nous irons toutes... On dit que vous préparez des merveilles.
– Oh ! des merveilles ! murmura-t-il d'un air de fatuité modeste, je tâche simplement d'être digne de vos suffrages.
Mais elles le pressaient de questions. Mme Bourdelais, Mme Guibal, Blanche elle-même, voulaient savoir.
– Voyons, donnez-nous des détails, répétait Mme de Boves avec insistance. Vous nous faites mourir.
Et elles l'entouraient, lorsque Henriette remarqua qu'il n'avait seulement pas pris une tasse de thé. Alors, ce fut une désolation ; quatre d'entre elles se mirent à le servir, mais à la condition qu'il répondrait ensuite. Henriette versait, Mme Marty tenait la tasse, pendant que Mme de Boves et Mme Bourdelais se disputaient l'honneur de le sucrer. Puis, quand il eut refusé de s'asseoir, et qu'il commença à boire son thé lentement, debout au milieu d'elles, toutes se rapprochèrent, l'emprisonnèrent du cercle étroit de leurs jupes. La tête levée, les regards luisants, elles lui souriaient.

 

 

Au Bonheur des dames, chap. III