Zola dans l'affaire Dreyfus
Un intellectuel engagé

   

"Toute la journée dans Paris les camelots à la voix éraillée crièrent L'Aurore […]
Ce beau nom de journal, rebelle aux enrouements, [qui] planait comme une clameur sur la fiévreuse activité des rues."

Charles Péguy, Cahiers de la Quinzaine, 4 décembre 1902

 

 
 

Le 13 janvier 1898, les vendeurs de journaux distribuent dans Paris les 300 000 exemplaires de L'Aurore. "Le choc donné fut si extraordinaire que Paris faillit se retourner " (Charles Péguy).
Zola y fait paraître sa " Lettre au président de la République ". C'est le directeur du quotidien, Clemenceau, qui en a trouvé le titre-massue : " J'accuse… ! "
L'effet est foudroyant. Les antidreyfusards manifestent violemment contre l'écrivain. Les caricaturistes se déchaînent. Maurice Barrès, Édouard Drumont et Charles Maurras s'en prennent à celui qu'ils considèrent comme un traître à la nation. Personne ne doit mettre en doute l'honneur de l'armée, qui doit garantir la sécurité de tous. La raison d'État prime sur le droit des individus.

 
 

Cette vision est bien sûr aux antipodes de celle des dreyfusards qui n'ont qu'un seul souhait : que la justice soit rendue et que la vérité éclate au grand jour. C'est le sens de la pétition qui circule parmi ceux que Clemenceau désigne sous le vocable d'"intellectuels" : Charles Péguy, Marcel Proust et Anatole France sont parmi les premiers signataires. L' affaire Dreyfus commence donc par le procès, pour diffamation, et la condamnation de Zola, convaincu depuis novembre 1897 qu'une erreur judiciaire a été commise et que, seul, un procès en assises, ouvert à tous, pourra faire sortir l'innocent du bagne. Car "la vérité est en marche et rien ne l'arrêtera". Après l'exil, vécu par Zola avec un sentiment de solitude extrême, c'est le retour, en juin 1899. Mais la "justice" n'est pas encore rendue. Il faut attendre 1906 pour voir Dreyfus réhabilité et réintégré dans l'armée comme chef d'escadron.
Zola ne connaîtra jamais le dénouement de l'"affaire" : le 5 octobre 1902, il meurt asphyxié dans son appartement de la rue de Bruxelles. Mort accidentelle ou provoquée ? La question est toujours posée : vingt ans plus tard, un ouvrier antidreyfusard reconnaîtra avoir volontairement obstrué une conduite d'aération dans l'appartement du grand écrivain. Aveu bien tardif ! Il n'en reste pas moins révélateur de la haine tenace qui poursuit Zola tout au long de son existence et que son engagement dans le camp des dreyfusards ne fait qu'amplifier. La polémique qui accompagne le transfert de ses cendres au Panthéon le montre bien !


Les documents :
Émile Zola, J'accuse…!
La une de L'Aurore, 13 janvier 1898
Bobb, J'Accuse, caricature antidreyfusarde
D'Nizard, Dreyfus, le Napoléon des martyrs
Orens, J'Accuse, caricature dreyfusarde
Félix Valloton, L'âge de papier
Meyer, Dégradation d'Alfred Dreyfus