Le Roman de la Rose
Fol. 23 : Bel-Accueil offre à l'Amant une feuille du rosier
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 023)
© Bibliothèque nationale de France
…
Ainsi, ces trois gardiens fâcheux
Veillaient que nul audacieux
Ne vînt rose ou bouton soustraire.
Au bout de ma dure carrière,
J'étais, si ne fusse épié ;
Car mon gent et doux allié,
Bel-Accueil, s'efforçait de faire
Tout ce qu'il savait pour me plaire,
Souvent m'exhortait d'approcher
Vers le bouton, et de toucher
Du moins le Rosier qui le porte,
M'encourageant de toute sorte.
Il fut, prévenant mon désir,
Une verte feuille cueillir
Tout proche de la rose née
Et qu'aussitôt il m'a donnée.
[ Enluminure ]
De la feuille alors je me fis
Parure, et quand je me sentis
Bel-Accueil aussi favorable,
Je crus mon succès véritable,
Et mon courage ranimant,
Je dis à Bel-Accueil comment
D'Amour j'étais, une victime :
"Sire, à moi nul bonheur n'estime
Que par une chose advenir,
Car je sens en mon coeur sévir
Une cruelle maladie.
Mon audace excuser vous prie,
Car j'ai peur de vous courroucer :
Mieux voudrais me voir dépecer
A couteaux d'acier pièce à pièce
Que de rien faire qui vous blesse.
Bel-Accueil :
Dites, fait-il, votre vouloir,
Jamais ne me verrez douloir
De rien que vous me puissiez dire.
L'Amant :
Lors je lui dis : "Sachez, beau sire,
Qu'Amour me fait beaucoup souffrir,
A vous je n'oserais mentir.
Il m'a fait au coeur cinq blessures,
Point ne guériront mes tortures
Si le bouton ne m'est baillé
Plus que tout autre bien taillé ;
Il est ma mort, il est ma vie,
Et rien de plus mon coeur n'envie."
Alors Bel-Accueil plein d'effroi :
"Frère, répondit-il, pourquoi
Vous bercez-vous d'une espérance
Dont jamais n'aurez jouissance ?
Comment, me voulez-vous honnir ?
Car ce serait moult me trahir
Que de vouloir ôter la rose
Du rosier où elle repose.
C'est d'un coeur pervers, insensé,
Que l'ôter d'où Dieu l'a placé.
Moult vilaine est votre demande,
Laissez qu'il croisse et qu'il s'amende,
Car ne voudrais le voir ravir
Au rosier qui l'a fait fleurir,
Sachez-le bien, pour rien au monde."
Soudain surgit Danger l'immonde,