Le Roman de la Rose
Fol. 25v : L'Amant supplie Danger de le pardonner
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 025v)
© Bibliothèque nationale de France

A Danger vins d'un pas timide
Et de faire ma paix avide,
Mais sans la clôture franchir
Pour ne pas lui désobéir.
Là seul sur ses pieds il se dresse
Feignant grande fureur et rudesse,
Brandissant son bâton noueux.
La tête basse et tout honteux
Je lui dis : "Vous me voyez, Sire,
Accouru pour pardon vous dire
Et combien je suis attristé
De vous avoir tant irrité.
S'il faut que mon crime j'amende,
Je suis prêt, que Danger commande.
Mais Amour possède mon coeur,
Lui seul est cause de l'erreur.
Mon seul désir est de ne faire
Que ce qui peut vous satisfaire,
Et j'aime mieux cent fois souffrir
Que votre vengeance encourir.
Avoir de moi merci vous prie,
Or, apaisez votre furie
Qui me glace de grand effroi,
Et je vous jure par ma foi
Que je saurai si bien me prendre
Que jamais n'y pourrez reprendre.
———
Veuillez mon pardon m'octroyer,
Ce ne pouvez me dénier.
Ah ! permettez que j'aime encore,
Nulle autre chose je n'implore ;
Toutes vos autres volontés
Ferai si ce me permettez.
Ne repoussez pas ma prière ;
Jusqu'au bout je serai sincère,
Car ne peut plus qu'aimer mon coeur
Pour mon bien ou pour mon malheur ;
Mais pour mon poids d'argent je n'ose
Rien faire qui vous indispose.
[ Enluminure ]
Danger hésita longuement
A calmer son ressentiment.
A la fin, je fus si tenace
Qu'il daigna m'accorder ma grâce
Et me répondit brièvement :
Danger :
C'est parler raisonnablement,
Et je ne veux pas t'éconduire ;
Sache que n'ai vers toi point d'ire.
Que m'importe ? Aime s'il le faut,
Ce ne me fait ni froid, ni chaud.
Aime donc ; mais fort tu t'exposes
Toutefois trop près de mes Roses,
Et si tu veux mon bras sentir,
Viens-t'en la clôture franchir !
L'Amant :
Ainsi m'octroya ma requête.
Et d'Ami lors me mis en quête
Pour lui conter. Quand il l'ouït,
Ce bon compagnon s'éjouit.
Ami :
Or va, dit-il, bien votre affaire,
Encor vous sera débonnaire
Danger ; maint en a profité
Qui sut flatter sa vanité.
S'il était pris en bonne veine,
II eût pitié de votre peine,
Car il n'est si féroce coeur
Que n'attendrisse la douleur.
Or sachez souffrir et attendre
Tant qu'en bon point le puissiez prendre.
L'Amant :
Moult me conforte doucement
Ami, qui mon contentement
Tout aussi bien que moi désire.
Enfin je dus adieu lui dire
Pour courir bien vite au verger ;
Car il faut que malgré Danger
Le bouton encore je voie,
Puisque avoir n'en puis autre joie.
Danger, lui, prend garde souvent
Si je viole mon serment ;
Mais sa menace est si sévère
Que vouloir n'ai de lui méfaire,
Et me suis peiné longuement
De faire son commandement
Pour le séduire et pour lui plaire.
Cependant je me désespère
D'attendre sa paix si longtemps ;
Il ouït mes gémissements
———
Près la clôture que je n'ose
Passer pour aller à la Rose ;
Il me voit soupirer, gémir,
Mais toujours me laisse languir.
Tant j'ai fait, qu'il a vu, je pense,
A cette morne contenance
Combien dieu d'Amours m'opprimait,
Et que mon âme ne tramait
Ni déloyauté, ni feintise.
Pourtant sa cruauté méprise
Mes larmes et mon déconfort,
Et ne daigne se fondre encor.
 
 

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