Le Roman de la Rose
Fol. 32v : Ici commence le second Roman de la Rose
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 032v)
© Bibliothèque nationale de France
J'en ai grand deuil et déconfort
Et je n'aurai jamais confort
Si je perds votre bienveillance,
Car ailleurs je n'ai d'espérance.
Ci finit ce que maître Guillaume
De Lorris fit de ce livre et commence
Ce que maître Jean Chopinel fit.
S'il m'est réservé de le voir,
Oui, j'en mourrai de désespoir !
De désespoir ! Non, je le jure,
Car ce serait me faire injure.
Si l'espérance me manquait,
Par trop lâche mon coeur serait.
Il faut qu'elle me réconforte ;
Amour, pour que mieux je supporte
Mes maux, dit qu'il me défendrait
Et qu'avec moi partout irait.
Mais, après tout, la belle affaire ;
Elle est courtoise et débonnaire,
C'est vrai, mais certaine de rien,
Les amants laisse en grand chagrin
Et se fait d'eux dame et maîtresse
Pour les leurrer par sa promesse ;
Car elle nous promet souvent
Choses qui restent à néant.
Par Dieu, dangereuse Espérance !
Combien par elle avec constance
A bien aimer s'attacheront
Qui jamais ne réussiront !
D'avenir elle n'est maîtresse,
Comment donc croire à sa promesse ?
Aussi, bien fol qui s'y fierait ;
Car si beaux biens elle promet,
Bien souvent, hélas! on l'a vue
Mainte âme aussi laisser déçue.
Toujours on doit avoir grand' peur
De son conseil faux et trompeur.
Et pourtant que demande-t-elle ?
Qu'au coeur qui lui reste fidèle,
Tout vienne au gré de son désir.
Fol que je suis de la honnir !
Mais que me vaut son assistance
S'elle ne calme ma souffrance ?
Hélas ! rien. Car elle ne fait
Que promettre et rien plus ne sait
(Sans don promesse ne vaut guère),
Et me laisse avoir de misère
Plus que nul n'oserait songer.
M'accablent Peur, Honte et Danger,
Et Jalousie et Malebouche
Qui tous ceux que sa langue touche
Empoisonne de son venin
Et met à martyre sans fin.
Bel-Accueil en prison ils laissent
A qui tous mes pensers s'adressent,
Et si je ne puis en jouir,
Il me faudra bientôt mourir.
Surtout c'est elle qui me tue
La vieille puante et moussue,
Qui de si près le doit garder
Que nul il n'ose regarder.
Dès lors augmenteront mes peines ;
Pourtant trois grâces souveraines
Daigna m'accorder Dieu d'Amours
Vaines, las ! en ces sombres jours.
C'est Doux-Penser qui point ne m'aide,
Doux-Parler que point ne possède
Et le troisième Doux-Regard.
Si Dieu ne m'aide sans retard,
Je les perdrai sans aucun doute,
Car leur vertu s'usera toute
Si Bel-Accueil reste en prison
Qu'ils tiennent par grande trahison.
De ma mort il sera la cause
———
Car jamais vivant, je suppose ;
Il n'en sortira. Sortir, las !
…