Le Roman de la Rose
Fol. 33v : Raison dispense ses conseils à l'Amant
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 033v)
© Bibliothèque nationale de France
Raison descend à nouveau de sa tour, mais son caractère a quelque peu évolué d'un auteur à l'autre, elle est devenue savante et sentencieuse. Son discours compte plus de deux mille vers : c'est un traité méthodique de l'amour et des passions, émaillé d'exemples moraux tirés des écrits des Anciens. Ce discours répudie toute la conception de l'amour courtois qui avait fait le sujet de la première partie.
La mort finira ma souffrance
Bientôt, à moins d'un prompt secours ;
Mais si le cruel Dieu d'Amours
Voulait terminer mon supplice,
Je ne craindrais à son service
Nul mal, nulle calamité.
Or qu'il fasse à sa volonté,
Or qu'il dispose de ma vie,
Je n'ai plus de lutter l'envie.
Mais, quoi qu'il me puisse advenir,
Qu'il daigne au moins se souvenir
De Bel-Accueil, si je succombe,
Dont la bonté creusa ma tombe.
Toutefois recevez, Amour,
Avant que je meure, en ce jour,
Puisque trop lourde est ma misère,
Pour lui ma volonté dernière ;
Oyez du plus fidèle amant
Les derniers voeux, le testament :
Mon coeur, mon unique richesse,
Au départir à lui je laisse.
L'Amant :
Tandis qu'ainsi me lamentais
De grandes douleurs que je sentais,
Et qu'en vain cherchais allégeance
A ma tristesse et ma souffrance,
[ Enluminure ]
Je vis droit à moi revenir,
Lorsqu'elle m'entendit gémir,
Raison, la belle, l'entendue,
De sa tour en bas descendue,
Car autant comme elle pouvait
Moult volontiers me secourait.
Bel ami, dit Raison la jolie,
Comment se porte ta folie ?
Ne seras-tu d'aimer lassé ?
N'as-tu de maux encore assez ?
Cet Amour est-il, que t'en semble,
Amer ou doux, ou tout ensemble ?
De ses maux, dis-moi, le meilleur
Suffira-t-il à ton bonheur ?
C'est là, je crois, un moult bon maître
Qui t'asservit, t'a pris en traître
Et te tourmente sans séjour.
Comme tu fus heureux le jour
Où tu te mis en son servage
Et lui rendis ton fol hommage !
Evidemment tu ne savais
A quel seigneur affaire avais.
Car si tu l'avais su, je pense,
Tu n'aurais fait telle imprudence ;
Ou si son homme avais été,
Servi ne l'aurais un été,
Non pas un jour, non pas une heure ;
Mais, je crois, sans plus de demeure,
Son hommage aurais renié
Et par Amour n'aurais aimé.
Le connais-tu ce jour ?
– Oui, ma Dame.
– Nenni, dit Raison
– Si ! l'Amant répond
– Comment, par ton âme ?
L'Amant parle :
Il dit : "Tu dois être flatté
Que t'ait pour son homme accepté,
De tel renom seigneur et maître."
– Ne s'est-il pas fait plus connaître ?
– Non, fors qu'il m'a baillé ses lois
Et, comme un aigle, par les bois
S'enfuit, me laissant en balance.
Raison parle :