Le Roman de la Rose
Fol. 77v : Le moine Faux-Semblant et la nonne Abstinence-Contrainte prêtent main forte au dieu d'Amour pour prendre d'assaut la forteresse de Jalousie
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 077v)
© Bibliothèque nationale de France
Le discours de Faux-Semblant, sommé d'expliquer comment il agit, est l'un des plus célèbres de la partie rédigée par Jean de Meun. Menteur fieffé, Faux-Semblant incarne l'hypocrisie de ceux qui en font le métier : les prêtres et les moines. C'est parce qu'il est rusé et sans scrupules que Faux-Semblant a tant de pouvoir, non seulement sur les gens de bien qui ne le soupçonnent pas, mais aussi et surtout sur les orgueilleux, les astucieux et les ambitieux. Vivement repris par Amour, qui prétend qu'il ne peut exister de tels religieux, Faux-Semblant réplique que l'habit ne fait pas le moine. Sous la robe se cachent aussi bien la sainteté que la pire scélératesse ! Lui-même n'est pas toujours moine, il peut prendre toutes les apparences, et jamais ses paroles ne répondent à ses actes, ni ses actes à ses paroles. S'ensuit une longue et violente diatribe contre les moines.

Le dieu Amour parle :
Ami, sois sans inquiétude ;
Car plus que n'en eus l'habitude,
A ton vouloir seras heureux,
Je te le jure par mes yeux.
Puisque tu m'es resté fidèle,
Mes barons il faut que j'appelle
Pour le château fort assiéger.
Chacun est fort, vaillant, léger,
Et devant que levions le siège
Sera Bel-Accueil hors du piège.
L'Amant parle :
Le dieu Amour, sans terme mettre
De lieu ni de temps dans sa lettre,
Tous ses barons mande ardemment
De venir en son parlement,
Commande aux uns, les autres prie.
Tous sont venus sans repartie
Prêts à faire ce qu'il voudra,
Selon ce que chacun pourra.
Je vais vous les nommer sans ordre
Pour plus tôt à ma rime mordre.
C'était d'abord Franchise, Honneur
Richesse et Noblesse de coeur,
Et Oiseuse la jardinière
Avec la plus grande bannière.
Puis venaient Largesse et Beauté,
Bien-Celer, Courage et Bonté,
Pitié, Simplesse et Compagnie,
Amabilité, Courtoisie,
Déduit, Liesse et Sûreté,
Désir et Jeunesse et Gaîté,
Humilité, puis Patience,
Puis enfin Contrainte-Abstinence
Que Faux-Semblant accompagna,
Car sans lui nulle part ne va.
Chacun toute sa gent amène,
Riant visage, âme sereine.
Seuls Abstinence et Faux-Semblant
Avaient l'air contraint et flottant ;
Car mensonge en leurs pensers brassent
Quelque semblant que dehors fassent.
D'où vient Faux-Semblant
Son lignage et sa parenté

Mensonge engendra Faux-Semblant
Qui va les coeurs des gens volant.
Sa mère était Hypocrisie
La laronnesse, la honnie,
Qui trahit mainte région
Par habit de religion ;
Sitôt qu'Amour porta la vue
Sur lui, son âme en fut émue :
[ Enluminure ]
Comment le Dieu d'Amour parle à Faux-Semblant
Et Contrainte-Abstinence qui lui répond

– Qu'est-ce, dit-il, ai-je songé ?
– Dis, Faux-Semblant, par quel congé
Es-tu venu en ma présence ?
Lors bondit Contrainte-Abstinence
Et Faux-Semblant par la main prit :
– Sire, c'est moi qui l'ai conduit,
Dit-elle, et ne vous en déplaise ;
Maint honneur me fit et maint aise,
———
Me vint en aide et me soutint,
Sans lui fusse morte de faim.
Excusez-moi, souffrez qu'il reste ;
Malgré que tous il déteste,
J'ai grand besoin qu'il soit aimé
Et sage et saint homme clamé.
C'est mon ami, je suis sa mie,
Et nous venons de compagnie.
 
 

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