Charles Marville
Percement de l'avenue de l'Opéra : chantier de
la rue d'Argenteuil
vers 1877
© Bibliothèque nationale de France, Estampes
"Cependant, tout le quartier causait de la grande voie
qu'on allait ouvrir, du nouvel Opéra à la Bourse, sous le nom de rue du
Dix-Décembre. Les jugements d'expropriation étaient rendus, deux bandes
de démolisseurs attaquaient déjà la trouée, aux deux bouts, l'une abattant
les vieux hôtels de la rue Louis-le-Grand, l'autre renversant les murs légers
de l'ancien Vaudeville ; et l'on entendait les pioches qui se rapprochaient,
la rue de Choiseul et la rue de la Michodière se passionnaient pour leurs
maisons condamnées. Avant quinze jours, la trouée devait les éventrer d'une
large entaille, pleine de vacarme et de soleil. Mais ce qui remuait le quartier
plus encore, c'étaient les travaux entrepris au Bonheur des Dames. On parlait
d'agrandissements considérables, de magasins gigantesques tenant les trois
façades des rues de la Michodière, Neuve-Saint-Augustin et Monsigny. Mouret,
disait-on, avait traité avec le baron Hartmann, président du Crédit Immobilier,
et il occuperait tout le pâté de maisons, sauf la façade future de la rue
du Dix-Décembre, où le baron voulait construire une concurrence au Grand-Hôtel.
Partout, le Bonheur des Dames rachetait les baux, les boutiques fermaient,
les locataires déménageaient ; et, dans les immeubles vides, une armée d'ouvriers
commençait les aménagements nouveaux, sous des nuages de plâtre. Seule,
au milieu de ce bouleversement, l'étroite masure du vieux Bourras restait
immobile et intacte, obstinément accrochée entre les hautes murailles, couvertes
de maçons."
Émile Zola, Au bonheur des dames, extrait du chapitre VIII