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L’œuvre de Roger
Ballen est un work in progress, et l'exposition qui
lui est consacrée dans la Galerie de photographie de
la BnF ne saurait être envisagée comme une rétrospective.
La chronologie ne peut être passée sous silence
puisque les œuvres montrées représentent
près de trente années d'activité, mais
elle ne constitue pas, à ce stade de sa recherche, un
fil conducteur significatif.
Le dispositif de cette exposition s'attache à montrer
le battement entre document et recherche plastique qui en constitue
l'axe fondamental, le principe même. Il est conçu
comme un emboîtement de chambres, assez proches par leur
agencement du système plastique du photographe lui-même.
Orienter et diriger strictement le parcours du visiteur eût
constitué une forme de réduction du foisonnement
visuel qu'est l'univers de Ballen. La fermeture du cadre, le
déroulement de lignes, l'imbrication des thèmes
ou au contraire leur stricte séparation, appellent l'approche
plurielle, la liberté individuelle de parcours, une
circulation en allers et retours qui permette, comme par surprise,
la découverte des échos visuels.
Les images les plus emblématiques, placées aux
carrefours des chemins possibles, signalent les évolutions
et les grands thèmes. |
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La préface de l'exposition,
Dans la chambre d'ombres : le seuil
présente des œuvres graphiques ou photographiques
que Roger Ballen apprécie, qui l'ont influencé.
Choisies avec lui parmi les pièces conservées
par le département des Estampes et de la photographie
de la BnF, des photographies de Diane Arbus et Ralph Eugene
Meatyard, des gravures de Dubuffet, permettent de comprendre
sa manière d'interpréter les thèmes du
portrait, de la photographie mise en scène, de la nature
morte, et de saisir l'importance qu'il accorde par ailleurs
au graphisme et au dessin. Figure également dans cette
préface un cahier d'Antonin Artaud appartenant à
la collection du département des Manuscrits, et ouvert
sur l'un de ses dessins. Les textes d'Artaud jalonnent le parcours
de l'exposition. |
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Le premier mouvement de la
partie monographique, Dans la chambre
d'ombres : les visages, est consacré au thème
du portrait. Les premières photographies de Ballen furent
prises à l'occasion de ses missions de géologue
en Afrique du Sud. Il y rencontra les descendants de colons
blancs, confinés dans de petites villes, victimes à
la fois de conditions de vie précaires et des ravages
de la consanguinité. Ces portraits reproduits dans les
premiers livres de Ballen sont les photographies les plus anciennes
présentées dans l'exposition. Le vocabulaire
plastique de leur auteur y est déjà discrètement
présent : frontalité, fermeture du cadre, disparition
des lignes de fuite, représentation obsédante
des fils de fer et des fils électriques, présence
d'animaux familiers… |

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Dans
la chambre d'ombres : le labyrinthe, deuxième
étape de la partie monographique, montre l'avènement
d'un univers intérieur, le déploiement d'une
thématique propre, marque les phases de l'élaboration
lucide d'un style et d'un vocabulaire. La fascination de Ballen
pour la matière des murs, les objets de rebut, les environnements
sans qualité et leurs matériaux pauvres se révèle
à plein. Les personnages disparaissent dans des emballages
ou des cartons, se confondent avec le décor, le graffiti
et le dessin prennent la place de l'humain dans une démarche
véritablement proche de l'art brut. Lorsque l'auteur
focalise son attention sur les personnages, c'est parce qu'ils
se livrent à des jeux énigmatiques ou à
des exercices étranges, accomplissent des travaux abscons,
parce que, tout simplement, leur raison d'être devient
une énigme. L'intérêt de Ballen pour la
nature morte et le thème classique de la Vanité
se révèle dans une série de photographies
vidées de tout personnage. C'est alors l'animal, lui
aussi banal, sans qualité, qui assure un simulacre de
vivante présence.
L'ombre portée, la ligne dessinée ou solide,
le volume créé dans du fil de fer, l'inscription
manuscrite, tous les fondamentaux de la recherche de Ballen
se répondent en écho pour nous faire entrer dans
un monde de nonsense hérité de Lewis Carroll
et de Beckett. |
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Dans
la chambre d'ombre : l’autre côté,
ultime étape de la visite, revient sur la question du
portrait. Les personnages y deviennent figures, symboles. Les
modèles habituels de Ballen semblent, à l'issue
de cette traversée de l'apparence, se mouvoir enfin
dans la liberté d'un espace imaginaire, celui qui s'étend
de l'autre côté du miroir. Ils ont repris leurs
activités absurdes, leur comportement énigmatique,
leurs exercices sans objet, mais cette fois sur un mode comique
et grinçant. " […] Ce que je veux dire,
ce que ces gens signifient, se rapproche des personnages de
Beckett. Ils symbolisent une forme de l’âme humaine
et quantité de gens ne savent pas s’ils doivent
l’accepter ou le refuser, car c’est totalement
déconcertant." Ainsi Ballen définit-il le
théâtre dont ils sont les acteurs volontaires,
proche de ce "théâtre de la cruauté"
inventé par Artaud. |
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