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La
" bulle de pensée "
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Il
existe bien des manières de représenter le rêve ou la pensée éveillée, la
méditation, voire la vision : la difficulté réside dans la coexistence au sein
d'une même image du rêveur et du contenu de son rêve. Au Moyen Âge, comme au XXe
siècle dans la bande dessinée, les dessinateurs ont privilégié deux systèmes. Le
premier consiste à figurer autour du lit du dormeur les personnages mêmes dont il rêve,
sans rupture spatiale entre eux. Le second consiste à établir une séparation graphique
entre l'émetteur et l'émission dimages. C'est ainsi qu'est mis en scène avec une
efficacité remarquable, au XIVe siècle, le songe de Basine, épouse de
Childéric, qui rêva lors de sa nuit de noces des trois générations qui seraient issues
d'elle, sous forme d'animaux sauvages. Fait extraordinaire, son rêve se matérialisa dans
la cour du palais. Son époux en fut témoin, sortant par trois fois dans la cour et
voyant d'abord des lions et des licornes, puis des léopards et des rhinocéros, enfin des
chiens. L'artiste du XIVe siècle chargé d'illustrer les Grandes Chroniques
de France, où cet épisode curieux est relaté, choisit une très originale mise en
image de la scène : une case carrée verticalement divisée en deux rectangles. Dans le
premier, qui occupe les deux-tiers gauche de l'image, la reine dort et son époux, debout
et réveillé, détourne la tête vers la droite, c'est-à-dire vers le second espace, où
se déroule le rêve. Ce dernier est une séquence : son registre est lui-même divisé
horizontalement en trois cases superposées dans lesquelles sont peints, de haut en bas,
les trois épisodes successifs du rêve de Basine. Le rêve fonctionne ici en
" insert " dans le cadre même de la case.
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Un
autre dispositif séparant l'émetteur de l'émission permet de matérialiser, dès le XVe
siècle, le contenu d'une méditation, ou du rêve éveillé. On dessine aujourd'hui des
" bulles " de rêve ou de pensée au-dessus de la tête du sujet. Au
XVe siècle, un artiste dessinait au-dessus d'un pieux fidèle un orbe en forme
de nimbe dans lequel se déroule sa méditation. L'objet de la méditation étant la
Passion du Christ, le procédé est associé au récit en séquences d'images. De case en
case, le sujet reconstitue mentalement chaque épisode de la Passion. Pour ne pas lasser
le lecteur par limage du fidèle méditant répété à chaque case, l'artiste
approche d'aussi près possible la technique du champ/contrechamp : son personnage
central alterne de trois-quarts droit à de trois-quarts gauche. |
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