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Le public français comprend et apprécie aujourd'hui dans son ensemble et ses détails cette composition qui naguère encore ne lui paraissait qu'une amusante excentricité. Il voit la raison des choses demeurées obscures pour lui jusqu'ici ; il reconnaît dans Weber la plus sévère unité de pensée, le sentiment le plus juste de l'expression, des convenances dramatiques, unis à une surabondance d'idées musicales mises en œuvre avec une réserve pleine de sagesse, à une imagination dont les ailes immenses n'emportent cependant jamais l'auteur hors des limites où finit l'idéal, où l'absurde commence. Il est difficile, en effet, en cherchant dans l'ancienne et la nouvelle école, de trouver une partition aussi irréprochable de tout point que celle du Freischütz ; aussi constamment intéressante d'un bout à l'autre ; dont la mélodie ait plus de fraîcheur dans les formes diverses qu'il lui plaît de revêtir ; dont les rythmes soient plus saisissants, les inventions harmoniques plus nombreuses, plus saillantes, et l'emploi des masses de voix et d'instruments plus énergiques sans efforts, plus suave sans afféterie. Depuis le début de l'ouverture jusqu'au dernier accord du chœur final, il m'est impossible de trouver une mesure dont la suppression ou le changement me paraisse désirable. L'intelligence, l'imagination, le génie brillent de toutes parts avec une force de rayonnement dont les yeux d'aigle pourraient seuls n'être point fatigués, si une sensibilité inépuisable, autant que contenue, ne venait en adoucir l'éclat et étendre sur l'auditeur le doux abri de son voile. L'ouverture est couronnée reine aujourd'hui ; personne ne songe à le contester. On la cite comme le modèle du genre. Le thème de l'andante et celui de l'allegro se chantent partout. Il en est un que je dois citer, parce qu'on le remarque moins et qu'il m'émeut incomparablement plus que tout le reste. C'est cette longue mélodie gémissante, jetée par la clarinette au travers du trémolo de l'orchestre, comme une plainte lointaine dispersée par les vents dans les profondeurs des bois. Cela frappe droit au cœur; et, pour moi du moins, ce chant virginal qui semble exhaler vers le ciel un timide reproche, pendant qu'une sombre harmonie frémit et menace au-dessous de lui, est une des oppositions les plus neuves, les plus poétiques et les plus belles qu'ait produites en musique l'art moderne. Dans cette inspiration instrumentale on peut aisément reconnaître déjà un reflet du caractère d'Agathe qui va se développer bientôt avec toute sa candeur passionnée. Elle est pourtant empruntée au rôle de Max. C'est l'exclamation du jeune chasseur au moment où, du haut des rochers, il sonde de l'œil les abîmes de l'infernale vallée. Mais, un peu modifiée dans ses contours, et instrumentée de la sorte, cette phrase change complètement d'aspect et d'accent. L'auteur possédait au suprême degré l'art d'opérer
ces transformations mélodiques. Le bruit sourd du noir sapin et il semble que l'obscurité devienne tout d'un coup plus intense et plus froide, à cette magique modulation en ut majeur : Tout s'endort dans le silence. De quel frémissement sympathique n'est-on pas agité plus loin
à cet élan : C'est lui ! c'est lui ! C'est le ciel ouvert pour moi ! Non, non, il faut le dire, il n'y a point de si bel air. Jamais aucun maître, allemand, italien ou français, n'a fait ainsi parler successivement dans la même scène la prière sainte, la mélancolie, l'inquiétude, la méditation, le sommeil de la nature, la silencieuse éloquence de la nuit, l'harmonieux mystère des cieux étoilés, le tourment de l'attente, l'espoir, la demi-certitude, la joie, l'ivresse, le transport, l'amour éperdu ! Et quel orchestre pour accompagner ces nobles mélodies vocales ! Quelles inventions ! Quelles recherches ingénieuses ! Quels trésors qu'une inspiration soudaine fit découvrir ! Ces flûtes dans le grave, ces violons en quatuor, ces dessins d'altos et de violoncelles à la sixte, ce rythme palpitant des basses, ce crescendo qui monte et éclate au terme de sa lumineuse ascension, ces silences pendant lesquels la passion semble recueillir ses forces pour s'élancer ensuite avec plus de violence. Il n'y a rien de pareil ! c'est l'art divin ! c'est la poésie ! c'est l'amour même ! Le jour où Weber entendit pour la première fois cette scène rendue comme il avait rêvé qu'elle pût l'être, s'il l'entendit jamais ainsi, ce jour radieux sans doute, lui montra bien tristes et bien pâles tous les jours qui devaient lui succéder. Il aurait dû mourir ! que faire de la vie après des joies pareilles !
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Hector Berlioz, À travers chants, 1862 |
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