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Si Abraham Bosse fut toute
sa vie profondément marqué par son éducation
protestante, l’homme ne put rester insensible à
la joyeuse liberté de mœurs du règne de Louis XIII.
De fait, ses compositions gravées font alterner thèmes
religieux et thèmes profanes, voire de franche galanterie.
En dehors de La Bénédiction de la table,
pièce maîtresse de son œuvre gravé,
qui est devenue une véritable icône protestante,
il n’y a, dans la production graphique de Bosse, et que
fort peu d’éléments qui trahissent son appartenance
confessionnelle face à l'abondance des pièces
de dévotion catholique comme L’Imitation de
Jésus Christ, véritable best-seller de la
Contre-Réforme ou Les Œuvres de miséricorde.
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Les
artistes et la Contre-Réforme
La situation de l’artiste protestant dans la France de
l’édit de Nantes, majoritairement catholique, et
où la religion dominante ne cesse de progresser, favorisée
par les pouvoirs en place et les missions de l’intérieur,
n’a plus rien à voir avec celle de la période
précédente. La fin des guerres de Religion a ramené
l’ordre et un certain conformisme social. Les protestants
ne sont plus des rebelles, tiraillés entre le devoir
d’obéissance et le devoir de révolte, entre
le service du Prince et le service de Dieu. Désormais,
ce sont pour la plupart de loyaux sujets du roi catholique.
En outre, dans un climat d’anti-protestantisme persistant,
la minorité confessionnelle trouve dans le souverain
la protection indispensable. Cet état de choses explique
que les protestants sont les principaux artisans de la politique
centralisatrice du cardinal de Richelieu, qui a pourtant détruit
leur parti, mais qui les laisse libres de vivre et de prier
selon leur conscience. Ces protestants de la nouvelle génération,
épris d’ordre et de clarté, vont apporter
une puissante contribution à l’essor du classicisme.
Nul hasard, donc, si Bosse illustre les protégés
de Richelieu, Desmarets de Saint-Sorlin, Boisrobert, Chapelain,
Cureau de La Chambre, et s’il reçoit à partir
de 1640 des commandes de l’Imprimerie royale. Dans ces
conditions, l’art de Bosse est bien évidemment
contaminé par l’iconographie catholique. |
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Une
esthétique hollandaise
Bosse est d’origine germanique, et plus précisément
rhénane. Son univers visuel et son esthétique
appartiennent au Nord de l’Europe, et plus précisément
à la Hollande. En outre, son maître, Melchior Tavernier,
un protestant lui aussi, était de nation flamande. Entre
Bosse et la Hollande on peut donc parler d’une affinité
profonde, qui éclate dans toute son œuvre. Il a
en partage avec ses confrères d’Amsterdam la même
construction de l’espace scénique, lumineux et
aéré, la clarté de la mise en page, et
la prédilection pour les scènes de la vie privée,
en particulier de la vie familiale. Il a leur goût pour
les costumes contemporains et porte la même attention
aiguë aux menus objets de la vie quotidienne, aux gestes
humbles et répétitifs de l’activité
domestique et des petits métiers : le chirurgien, le
barbier, le médecin, le cordonnier, le savetier, le procureur
et la maîtresse d’école. Ceci explique qu’en
retour Abraham Bosse ait eu des imitateurs en Hollande.
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La
promotion du quotidien
La promotion du quotidien dans ses aspects tour à tour
sérieux et comiques doit sans nul doute à la culture
calviniste de Bosse, tant il est vrai, comme l’a noté
Hegel dans son Esthétique, que le protestantisme
est "la seule religion qui ne détache pas ses fidèles
de la prose de la vie et qui permet à celle-ci de se
faire valoir en toute liberté et indépendamment
de toute considération religieuse". Bosse au premier
chef a contribué à rendre ce lustre et cette honorabilité
à l’univers des pratiques quotidiennes. L’un
des premiers, il a "retracé sur le cuivre des portraits
de gens de la petite bourgeoisie, qui jusqu’alors n’avaient
pas encore eu un tel honneur". Relativement isolé
en France, Abraham Bosse est en revanche à l’unisson
d’une tendance profonde de l’art des Pays-Bas. Lui
aussi a illustré ce "dimanche de la vie" dont
parle Hegel à propos de la peinture de genre des petits
maîtres hollandais ; lui aussi a eu part à la transfiguration
du monde profane, exalté à l’égal
des plus belles fêtes, comme étant l’œuvre
du juste vivant selon Dieu. |
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Un
quotidien soumis au jugement divin
Et, en raison de l’actualité de la Parole dont
l’efficace est vérifiée au jour le jour,
on comprend qu’Abraham Bosse, à l’exemple
des Hollandais, représente les paraboles de l’Évangile
dans des décors et des costumes contemporains. Ainsi
en va-t-il de l’Histoire de l’Enfant prodigue,
d’après l’Évangile de Luc, qui témoigne
du mauvais usage des richesses, et des risques mortels qu’elles
comportent pour leur détenteur. De même, le caractère
calviniste de la suite de sept gravures des Vierges sages
et des Vierges folles ne fait guère de doute. Il
ne faut pas s’y tromper : ces paisibles scènes
d’intérieur, qui oscillent entre la clarté
tamisée d’une après-midi de lecture et le
clair-obscur de la veillée, sont placées en réalité
dans la lumière terrible du Jugement dernier. L’instruction
du juste et rigoureux jugement de Dieu est permanente. C’est
l’affaire de chaque jour et de chaque heure. Le spectacle
tranquille en apparence de la vie quotidienne peut déboucher
à tout moment sur l’Apocalypse et l’accomplissement
des Écritures.
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