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L'architecte
des Lumières |
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Boullée est
lun des plus grands architectes du 18e siècle, dont la pensée est
imprégnée de la philosophie des Lumières. |
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Ayant relativement
peu construit, lartiste simpose comme théoricien et pédagogue, durant la
Révolution, mais déjà bien avant 1789 à lépoque où les idées de progrès
influençaient la politique des arts de la monarchie française, sous Louis XV et Louis
XVI. Avec son confrère Claude-Nicolas Ledoux, qui lui est un grand constructeur,
également théoricien visionnaire, Boullée souhaitait que larchitecture agisse sur
les sentiments et la conscience morale des citoyens. |
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Lexposition du
fonds de dessins de Boullée, légué par lartiste lui-même avant sa mort à la
Bibliothèque nationale, accompagnée du manuscrit dun Essai sur lart,
propose une lecture plastique, esthétique, historique et symbolique de luvre,
saisie en son temps. Elle permet de mieux comprendre une uvre redécouverte au 20esiècle après une longue période de
désintérêt et doubli. |
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Luvre
dessinée de Boullée est généralement comprise comme une architecture utopique, dont le
caractère irréalisable, concrètement, sassocie à une vision politique et sociale
déterminée par lidée de progrès. Mais elle donne à réfléchir sur un idéal de
création artistique mis au service du public, donc de la société. Sous le rapport de la
poésie et de lutopie de lart, il sagit de redonner à cette
" architecture de papier " sa dimension métaphoriques et de
considérer les projets de monuments comme autant demblèmes dune aspiration
au bien-être de lhumanité. La moralisation de lart, en architecture, comme
en peinture, en sculpture ou au théâtre, est le ressort de cette volonté de
régénération artistique. |
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Par les effets
quil emprunte à lart de la peinture ou de la scénographie, par le
commentaire imagé du texte qui explicite le parti adopté dans ses programmes
dédifices, Boullée revendique pour larchitecte le statut dartiste à
part entière. Comme les autres formes dexpression, larchitecture doit se
donner la possibilité de "mettre
la nature en uvre" et de
lexprimer avec force ou nuances, pour mieux toucher la sensibilité.
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L'homme
de métier Né et mort à Paris, Étienne-Louis Boullée (1728-1799) poursuit une carrière
exclusivement parisienne, sans même effectuer le voyage que firent à Rome la plupart des
artistes célèbres de son temps. |
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Fils dun architecte-expert, Boullée soriente dabord vers la
peinture avant détudier larchitecture à la demande de son père auprès de
Legeay et de Blondel. Remarquable dessinateur et pédagogue, il enseigne très tôt
lui-même larchitecture. Ses qualités et la réputation quacquièrent ses
premières uvres, lui permettent daccéder à lAcadémie Royale
dArchitecture en 1762. Son influence y est considérable et le conduit à négliger
sa carrière de praticien. |
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Ses
débuts sannoncent toutefois prometteurs. Sa clientèle privée se recrute dans la
société des hauts financiers, proches du pouvoir. À Paris, entre 1752 et 1775, Boullée
réalise plusieurs décors intérieurs prestigieux pour des hôtels particuliers (hôtel
Tourolle, hôtel dEvreux, actuel palais de lElysée) et pour léglise
Saint-Roch. À lexception de lhôtel Alexandre et du palais de lElysée,
ainsi que de rares boiseries remontées dans des musées ou dautres locaux au 19esiècle, ses hôtels sont aujourdhui
détruits.: maison de Thun et de Pernon à la Chaussée dAntin, de Monville à la
Ville-lEvêque et le fameux hôtel de Brunoy dont la façade, conçue comme un Temple
de Flore, dominait un jardin largement ouvert sur les Champs-Elysées. |
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Intendant
des bâtiments du comte dArtois, contrôleur des bâtiments des Invalides, puis de
lÉcole Militaire, où il construit un manège, Boullée aménage la Bourse de la rue
Vivienne et la prison de la Force. Ses premiers grands projets, irréalisés, concernent
dimportants chantiers qui seront confiés à dautres architectes :
lhôtel de la Monnaie, lhôpital de la Charité, le palais Bourbon. |
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L'architecte du roi Les académiciens shonoraient du
titre darchitecte du roi.
Très écouté comme théoricien, surtout après la mort de son maître
Jacques-François Blondel (1774), principal professeur à lAcadémie, Boullée eut
une influence considérable sur les jeunes architectes de la dernière génération du
18e siècle, formés à
lAcadémie ou, à titre privé, dans son agence. Certains dentre eux ont fait
une grande carrière, jusquau début du 19e siècle : Chalgrin,
Brongniart, Gisors, Pâris, le Nantais Crucy, le Bordelais Combes et le fameux ingénieur
Durand. |
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Bien des
sujets de concours furent formulés et corrigés par ses soins, tandis que ses propres
dessins servaient de modèle aux candidats au Grand Prix annuel, sur des sujets souvent
inspirés par lactualité des chantiers royaux. Liés au pouvoir monarchique dont il
sollicite le symbole, dans une vision régénérée et mégalomane, ses projets pour
lOpéra, la Bibliothèque, le pont Louis XVI, léglise de la Madeleine, le
Muséum, le Palais de Justice, le Palais Municipal, forment sur le papier la cohorte des
monuments idéaux dune grande capitale rêvée par lun des architectes les
plus progressistes du siècle des Lumières. |
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L'architecte
révolutionnaire Boullée peut être qualifié " darchitecte
révolutionnaire "à un double titre. Dabord comme artiste, il critique
larchitecture de son temps et propose des solutions audacieuses, progressistes et
volontairement provocantes par rapport à la tradition admise. Ensuite, il est acteur de
la pensée et de la politique artistiques revendiquées par la Révolution et ses
nouvelles institutions. |
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Professeur
aux Écoles centrales, nommé membre de lAcadémie des Beaux-arts à la fondation de
lInstitut de France (1795), Boullée participe activement au jury des concours
artistiques de lAn II (1794), institués par la Convention Nationale et le Comité
de Salut Public |
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À partir
de 1789, Boullée élargit les programmes de ses projets aux monuments suscités par
lactualité révolutionnaire (Assemblée nationale, palais municipal, cimetière,
monuments commémoratifs, etc.). Il médite alors la composition de son Essai sur
lart et prépare le legs de ses dessins à la nation. Linfluence de son
" architecture parlante ", aux côtés de luvre de Ledoux,
sobserve dans certains discours politiques, comme celui du député Armand-Guy
Kersaint Sur Les monuments publics prononcé le 15 décembre 1791, publié
lannée suivante. |
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Le
pédagogue, le théoricien Boullée fait partie dune génération
darchitectes-philosophes persuadée que larchitecture participe directement à
lessor du grand mouvement de pensée qui bouleverse lépoque." Il
faut concevoir pour effectuer, nos premiers pères nont bâti leurs cabanes
quaprès en avoir conçu limage. Cest cette production de lesprit,
cest cette création qui constitue larchitecture. (
) Lart de
bâtir nest donc quun art secondaire, quil nous paraît convenable de
nommer la partie scientifique de larchitecture ", écrit-il dans
lintroduction de son Essai sur lart. |
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Formé à
la philosophie sensualiste par les écrits de Locke et de Condillac, influencé par ses
lectures de Montesquieu, de Rousseau et de Voltaire, Boullée assigne à lart des
vertus éducatives absolues. Larchitecture construite, à travers un style
monumental épuré, doit montrer un caractère analogue à sa destination et susciter des
sentiments bénéfiques. La théorie du sublime, révélée à travers les écrits
dEdmond Burke ou les gravures de Piranèse, justifie et le gigantisme et la mise en
scène" pittoresque " des projets de Boullée présentés comme des
tableaux. |
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Larchitecture
doit donc " parler ". Le langage est en quelque sorte le matériau de
lédifice, ou de sa représentation, qui devient " un grand livre ouvert
à linstruction publique " : Larchitecture a un effet sur les sens
à portée pédagogique. Lécole de larchitecture est une école de la raison
et du progrès, où se fondent dune manière dialectique les nouvelles connaissance
sur la nature et lhistoire des murs, depuis les origines de la civilisation
jusquaux découvertes scientifiques récentes où, par exemple, brille le génie de
Newton. |
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LAntiquité
demeure la source des modèles architectoniques, par la beauté formelle quinspire
le système des ordres et la logique constructive quil permet. Mais limitation
de la nature exige une démarche scientifique qui rationalise leur emploi dans un nouvel
équilibre où les volumes élémentaires - cube, sphère, pyramide - ont pour rôle
dimpressionner la perception. Le symbole des programmes traités sy révèle
alors conforme à la " simplicité " des volumes, nouvelle valeur
assignée au renouveau classique, depuis le milieu du 18esiècle, dans la sculpture ou la peinture,
comme le montrent les uvres contemporaines de Jacques-Louis David (Serment des
Horace, 1785, Louvre). |
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L'artiste " Ed io anche son
pittore " [Moi aussi je suis peintre]. Cette devise de Boullée, placée en
exergue de son Essai sur lart, est empruntée à une célèbre exclamation du
Corrège découvrant luvre de Raphaël. Cest une conviction fondamentale
de larchitecte, quil partage avec son confrère Ledoux, une idée selon
laquelle la pensée et limage du bâtiment sont aussi importantes que sa
construction. Lun comme lautre consacreront autant dénergie à
transmettre à la postérité leur pensée et leurs dessins quà réaliser leurs
projets. Toutefois, contrairement à Boullée, Ledoux conduira dinnombrables
chantiers. |
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Jusquà
un certain point, il existe une parfaite analogie entre larchitecture et la
peinture : " Lart de produire des images en architecture provient de
leffet des corps et cest ce qui en constitue la poésie. Cest par les
effets que produisent leurs masses sur nos sens que nous distinguons les corps légers des
corps massifs et cest par une juste application, qui ne peut provenir que de
létude des corps, que lartiste parvient à donner à ses productions le
caractère qui leur est propre "
La peinture demeure néanmoins un art de stricte imitation, à la différence de
larchitecture, vraiment " sublime " parce quelle est
" seul art par lequel on puisse mettre la nature en uvre ".
Boullée, comme ses confrères Le Camus de Mézières, De Wailly ou Ledoux, combat ici la
vieille tradition qui excluait (encore au milieu du 18e siècle, dans les écrits
théoriques de labbé Batteux) larchitecture des arts libéraux, sous
prétexte quelle nimitait pas la nature et quelle était un art
mécanique, utile. |
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À cet
égard, Boullée partage complètement la conception de lartiste démiurge, ouvrier
de la nature, que décrit Ledoux : " Larchitecte na-t-il pas un
pouvoir colossal ? Il peut dans la nature dont il est lémule, former une autre
nature ; il nest pas borné à cette partie de terrain trop étroite pour la
grandeur de sa pensée ; létendue des cieux, de la Terre est son
domaine ; il peut assujettir le monde entier aux désirs de la nouveauté qui
provoque les hasards sublimes de limagination ". Rappelant
lémulation séculaire à laquelle se livrent certains artistes et écrivains,
Boullée précisait : " Les moyens de mettre la nature en uvre qui
appartiennent à larchitecture proviennent de pouvoir en certains cas effectuer ce
que la poésie ne peut que décrire " .
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