L'architecture et l'urbanisme des loisirs | C'est en urbaniste que
Boullée porte attention aux programmes d'architecture civile qui témoignent des progrès
de la science et des arts. Le souci d'embellir les villes se traduit sous le règne de Louis XV par la réalisation de nouveaux types de bâtiments publics, de places ordonnancées et de vastes promenades, notamment en province. La croissance démographique et le développement du commerce et des échanges entre villes et campagne, modifient la taille de la cité et tranforment profondément son architecture. Marchés, hôpitaux, écoles et universités, édifices administratifs et financiers, s'inscrivent désormais dans des formes nouvelles, dignes des modèles à colonnades observés ou étudiés dans l'architecture antique. |
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À Paris, l'urbanisme
est traditionnellement difficile à mettre en uvre, compte tenu de l' étendue de la
ville, de la complexité de son administration et des enjeux du pouvoir. La capitale se
transforme toutefois radicalement à partir du milieu du 18e siècle.Très fréquentée
par les étrangers, lieu prestigieux rassemblant les plus hautes institutions culturelles
du royaume, la capitale des philosophe est aussi une formidable place de divertissements
où se croisent les sociétés les plus variées. La frénésie du spectacle, on parle à l'époque de " théâtromanie
", a gagné la noblesse, la bourgeoisie et le petit peuple, parfois au grand dam de
l'Eglise. Le spectacle est présent partout, chez les particuliers, comme à la cour, dans
le théâtre de société (privé), sur les champs de foire et bientôt sur les boulevards
nord de Paris. Il devient une activité policée et permanente, essentielle à la cité. |
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Dans ce contexte, l' Opéra de Paris apparaît comme une institution prestigieuse où se rencontrent la cour et la ville. En 1781, sa disparition momentanée causée par un incendie est d'autant plus cruellement ressentie que sa grande rivale, la Comédie française, s'installe dans son nouveau temple dédié à Apollon et aux Muses, l'actuel Théâtre de l'Odéon, inauguré en 1782, au cur du tracé d'un nouveau quartier. À Bordeaux, Marseille, Nantes, Besançon, de nouveaux théâtres-temples sont édifiés par de célèbres architectes au cur de nouveaux lotissements. Dans ces théâtres, polyvalents en province, l'idée d'une salle " à l'antique ", en harmonie avec les sujets et les mises en scènes des tragédies de Voltaire et des opéras de Glück, s'impose et oriente la théorie moderne du renouveau classique en architecture. Le projet de Boullée pour l'Opéra de Paris, dessiné en 1781 après l'incendie, s'inscrit dans ce mouvement d'innovation architecturale et urbaine. | |||
Dans le même esprit,
Boullée dessine deux autres projets d'édifices à vocation culturelle : la Bibliothèque royale et le Muséum. Lieu du savoir, la Bibliothèque du roi, symbole des richesses intellectuelles de la nation, nécessite depuis longtemps un local plus fonctionnel, plus vaste et recommandable par son aspect extérieur. Boullée propose deux projets, l'un idéal et coûteux, l'autre plus pragmatique, mais néanmoins volontairement expressif. |
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La vogue des Salons de peinture et de sculpture du Louvre, abondamment commentés par la presse et les critiques (Diderot), et le rôle éducatif assigné à l'art comme au théâtre, imposent progressivement l'idée de créer un grand musée national dans la capitale. Sous Louis XVI, le projet sera mis en place par le directeur des Bâtiments du roi, mais attendra l'époque révolutionnaire pour se concrétiser. |
Le Muséum |
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Plus qu'un programme
fonctionnel précis, avec une distribution explicite, cette grandiose perspective évoque
l'image emblématique d'un monument national que Boullée n'a pas directement commenté
dans son Essai. Il s'agit d'un " Muséum au centre duquel est un temple de la Renommée destiné à contenir les statues des grands hommes ", daté de 1783. Cette dernière remarque rappelle que sous le règne de Louis XVI, à l'instigation du directeur des Bâtiments du roi, se multiplient les commandes aux sculpteurs de statues d'hommes illustres et aux peintres de tableaux d'histoire moderne, illustration d'une nouvelle orientation de l'art au service de l'identité nationale. Certains auteurs ont rapproché ce projet de Boullée d'un célèbre texte de l'Anglais Alexandre Pope, The Temple of Fame [le temple de la gloire], bien connu en France par plusieurs traductions. Le projet de muséum, destiné à glorifier la mémoire de la patrie, préfigure sous l'Ancien Régime le programme politique qui, sous la Révolution, transforma l'église Sainte-Genevière de Soufflot en Panthéon des Grands Hommes de la Nation. |
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Un monument de
la reconnaissance publique Boullée, dans son Essai, évoque sans le nommer plus explicitement, " un monument de la reconnaissance publique ", dans un lieu " susceptible de rassembler toutes les beautés éparses de la nature, de manière à en présenter le muséum ". Il évoque le monument situé dans un parc, sorte de jardin des plantes, pittoresque et sentimental, formant des tableaux " variés à l'infini ". Nature et humanité sont au cur de la symbolique exaltée par le gigantisme, la transparence et la somptuosité de l'architecture. Ouverts sur l'extérieur et vers le ciel lumineux, les promenoirs sont plus développés que les salles d'exposition, de consultation ou les magasins. On imagine ceux-ci tout autant destinés aux uvres d'art, qu'aux sciences naturelles, à la géographie et à des " cabinets de curiosité " géants. |
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L'écran de colonnes |
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L'imitation de la nature demeure,
avec celle de l'Antiquité, la voie première de l'expérience artistique à l'époque de
Boullée. L'ordre d'architecture est un des symboles de cette recréation d'une structure libre, portante, conçue à l'image de la nature végétale dont, à l'origine des temps, avaient été extraits les poteaux et les poutres. Profilés, ornementés, proportionnés, colonnes et entablement se prêtent à des scénographies spatiales émouvantes que Boullée amplifie par l'échelle colossale du monument. " Enfin, ce serait elle [l'Architecture]
qui, dans ce beau séjour, manifesterait l'empire de son art, qui consiste à mettre la
nature en uvre. C'est dans ce lieu où elle ferait naître, pour ainsi dire, les
enchantements à chaque pas ". |