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La
composition des monuments funéraires |
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Larchitecture
funéraire de Boullée illustre le changement des rapports que les hommes entretiennent
avec la mort, et tout particulièrement avec le culte des Grand Hommes. En 1785, Louis XVI
décide déloigner les cimetières des villes pour des raisons dhygiène
publique ce qui conduit à un renouvellement de la typologie de larchitecture
funéraire. Lengouement pour une archéologie antique, en partie mythique, et la
vulgarisation des sciences, en particulier de lastronomie, conduit Boullée à
privilégier en architecture des formes géométriques primaires telles que sphères ou
pyramides. Inspiré par les monuments égyptiens, Boullée imagine une série de
cénotaphes, monuments funéraires dans lesquels ne reposent aucun corps, et de tombeaux,
fondés sur des jeux oppressants de formes et de proportions capables de " braver le
ravage des temps ". Il élabore ici lune des notions clef de sa poésie de
larchitecture, l" architecture ensevelie ", et figure en divers
tableaux une véritable cité des morts. |
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Larchitecture de Boullée sappuie
sur la théorie sensualiste, doctrine formulée par Lock et Condillac daprès
laquelle toutes nos connaissances proviennent des sensations. Il fait appel à un registre
de formes simples et lisses, aux proportions " basses et
affaissées ", qui placent le spectateur face à une nature omnipotente. Les
tableaux suivent un schéma à peu près identique. Les ensembles funéraires sont mis en
scène dans de vastes espaces vides sous un ciel bas et pesant avec de forts effets de
clair-obscur. |
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Les cénotaphes sont disposés au cur
dune enceinte carrée ou circulaire, ponctuée d " arc[s] de
triomphe[s] funéraire[s] " et de charniers pyramidaux qui abritent des
chapelles destinées à loffice des morts . Le cénotaphe marque le centre de la
composition dans un décaissement qui crée une sorte darène immense. La masse des
édifices est représentée par des volumes géométriques simples, tronconiques,
pyramidaux ou sphériques, qui simposent dans des proportions monumentales aux
hommes assemblés à leur pied. Les références à lEgypte sont récurrentes et les
compositions, placées dans des paysages désertiques, sont ponctuées dobélisques
et de sphinx. Les représentations de cultes ancestraux figurent des cérémonials
anciens, baignés dans une harmonie dombre et de lumière parcourue de la fumée des
encens. |
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Le cénotaphe de Turenne, décrit par
Boullée dans son Essai, représente larchétype du dispositif funéraire. En
1782 lAcadémie darchitecture est consultée pour lérection dun
monument à la mémoire du maréchal de Turenne, mort à Sasbach en 1675. Boullée
projette une pyramide tronquée, cernée de palmiers et de cyprès qui forment une
couronne naturelle pour honorer la gloire du héros mort pour la Nation. La construction,
de gros appareillage de maçonnerie, est dépourvue de décoration bien que parcourue par
les lignes diagonales des escaliers. Lentrée est ménagée dans un vaste
cul-de-four flanqué de deux bas-reliefs sculptés dans la masse du mur. Des petits
groupes sont réunis devant la façade et sous de lourds obélisques pour une
célébration commémorative lors dun jour dorage. |
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Le cénotaphe abrite un autel placé au
centre dun amphithéâtre couvert dune voûte lisse, surmontée du volume
évidé de la pyramide qui forme une immense chambre acoustique. Le pourtour est ponctué
de culs-de-four qui abritent des chapelles fermées par des portiques de colonnes doriques
sans base. Chaque élément architectural est dépourvu de piédroit afin d'accentuer un
effet daffaissement et de demi-ensevelissement, particulièrement approprié, selon
Boullée, à une architecture funéraire. |
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Les
tombeaux Boullée développe une
série de projets de tombeaux sur les mêmes principes que ceux qui régissent les
cénotaphes tout en épurant la mise en scène. La disparition des sépultures au sein des
églises revitalise pour les architectes de la fin de lAncien Régime un terrain
dexpérimentation oublié depuis lAntiquité. Le tombeaux, lieu de
métamorphose du corps en esprit, est élevé au rang de monument et de symbole. Dans les
trois projets de tombeaux, Boullée saffranchit dun dispositif complexe
denceintes et de portes pour proposer des édifices isolés dans des lieux stériles
et qui apparaissent comme un seuil entre le monde des vivants et celui des morts. Par ses
vues rapprochées, larchitecte inspire aux spectateurs la gravité et la
puissance des morts: " Temples de la mort, votre aspect doit glacer nos
curs ! ". |
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Le tombeaux des Spartiates
doit son titre à la remarque quun visiteur fit à Boullée. Sépulture collective
de soldats, sa forme reprend celle dun sarcophage monumental dont la pierre tombale
est portée par des soldats antiques alignés en frise. Dénuée de toutes autres
décorations hormis une série damphores, la masse de lédifice
sapparente autant à une place forte gardée par des morts quà un sanctuaire
de vie autour duquel on célèbre la résurrection (ou la libération) de lesprit.
Une procession parcourue de fumées dencens sachemine vers le cur du
monument par une porte sombre qui se découpe nettement sur la face éclairée de
lentrée. |
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Deux autres dessins de tombeaux
à portiques prolongent ce projet. Le tombeau dHercule met en scène le mythe
du héros grec qui ne fut vaincu que par la magie et dont le corps fut transporté au ciel
par des flammes. Une vaste pyramide tronquée de laquelle des fumées séchappent en
panaches, symbolise le bûcher sur lequel le héros se donna la mort. Lensemble est
enserré par un portique dordre dorique sans base surmonté dune large frise
dédiée vraisemblablement à ses exploits. Lisolement de lédifice est
accentué par la surface lisse de limmense socle qui porte le tombeau et qui est
simplement percé de deux petites entrées. Le deuxième dessin, similaire et intitulé tombeau
périptère, fait disparaître la proéminence du socle et remplace la pyramide par
une masse orthogonale dont lattique sélève au-dessus du portique.
Lintérieur de lédifice est rendu moins oppressant et sa perception plus
directe au travers des colonnes. |
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Le cénotaphe de Newton :
Les deux projetsLe cénotaphe de Newton (mort en
1727) vient rendre hommage à lune des figures emblématiques du siècle des
Lumières qui incarne un ensemble de découvertes liées à la physique et
lastronomie. Peu de temps avant lélaboration de ce projet, sest ouvert
le Salon des globes de la Bibliothèque royale où étaient exposées les sphères
géantes de Coronelli réalisées pour Louis XIV. Leur vogue se conjuguait avec celle du
ballon aérostatique; cétait la " globomanie " que moquait le
satiriste Rivarol. C'est dans ce contexte que Boullée propose un monument sphérique,
concept novateur si lon excepte les projets très spécialisés de De Wailly pour
les frères Montgolfier. Au-delà dun effet de mode, larchitecte
sintéresse aux propriétés de la sphère, qui selon lui, offrent "la
perception la plus évidente des corps". Sa " régularité ", sa
" symétrie " et sa " variété " empêchent
toutes altérations optiques de la " magnifique beauté de sa forme qui,
toujours, soffre parfaite à nos regards ". Le projet de cénotaphe de
Newton est ainsi particulièrement révélateur dune pratique sensualiste des arts. |
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La conception de ce monument se
déroula en deux étapes que lon ne peut dissocier. Un premier projet de cénotaphe
pour Newton, daté de 1784, représente une salle monumentale circulaire mystérieusement
éclairée au centre par une sphère armillaire sous laquelle se tient un autel. Ce
projet, qui semble plus se référer aux théories héliocentriques de Copernic, est suivi
dun second, daté de la même année, représentant le même espace plongé dans une
nuit étoilée. Lenveloppe extérieure, commune aux deux cénotaphes, figure des
étagements de cyprès qui rappellent le fameux Mausolée dAuguste à Rome.
 Le souhait
poétique de Boullée était d " envelopper " Newton de sa
découverte en symbolisant le rayonnement de son génie depuis le cur de
la terre. Dans son Essai sur lart, il avoue pourtant avoir éprouvé
" une sorte de mécontentement " de son premier projet à cause
didées quil regardait " comme impossibles à rendre "
parce quil nen entrevoyait " quà peine la
possibilité ". Et cest par " létude et
la constance " pour " lamour de son art "
quil parvient à mettre en uvre les " effets "
et " les grandes images de la nature " dans un second projet. A
partir dun simple dispositif de petits percements dans la voûte, larchitecte
dispose cette fois-ci un tombeau sous " une nuit pure ", dans laquelle
le spectateur se trouve " comme par enchantement, transporté dans les airs et
porté sur des vapeurs de nuages dans limmensité de lespace ".
Ainsi " de quelque côté que les regards se portent, on naperçoit
quune surface continue qui noffre ni commencement ni fin, et qui, plus on la
parcourt, plus elle sagrandie ".Unique objet dans cet espace, le
tombeau devient ainsi une métaphore poétique du génie suprême vers lequel lhomme
doit porter son attention. |
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Cénotaphe,
globes géants et planétariums Sur un plan
strictement architectural, lidée dune chambre circulaire représentant le
ciel étoilé nest pas nouvelle. Les planétariums romains étaient conçus sur le
même principe, mais ils ne formaient que des voûtes ou des demi-sphères. Depuis
Ptolémée, en effet, on se représentait le Ciel sous la forme dun globe, mais
lhémisphère sud étant inconnu, le ciel était représenté sous la forme
dune demi-sphère correspondant aux étoiles "septentrionales ",
cest-à-dire, observées depuis lhémisphère nord. Des globes célestes
"convexes " furent néanmoins produits dès le 7e siècle. Ils
représentaient le Ciel comme sil était vu depuis lextérieur de
lunivers, entourant la Terre au centre de la sphère, contrairement aux salles
cosmiques ou planétariums qui représentaient le Ciel observé depuis la Terre. Sphères
célestes et planétariums offrent ainsi deux métaphores complètement opposées, mais,
au plan de l'ingénierie ou de l'architecture, les deux options tendent à se rapprocher
dès lors quon se met à produire des globes géants, vers la fin du 17e
siècle. |
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Un
temple Le premier projet est-il vraiment un
projet de monument à la gloire de Newton, voire est-il même tout simplement un
cénotaphe? La question peut être posée. Boullée, en effet, na disposé aucun
tombeau mais simplement un autel autour duquel figurent des personnages dont lun a
été identifié comme étant Zoroastre. Quant à la sphère armillaire, elle décrit le
monde héliocentrique de Copernic et on ne comprend pas pour quelles raisons Boullée,
dans son Essai sur lart, a attribué cette " lampe sépulcrale " au "
divin système " de Newton. Il est possible que le premier cénotaphe ait été en
fait dédié à Copernic dont un portrait, voisin de celui de Newton, ornait le bureau de
Boullée. Cette conjecture, démentie par lEssai nexplique pas pour autant la
présence de Zoroastre, personnalité vénérée dans la pensée maçonnique, et encore
moins létrange pouvoir luminescent de la sphère armillaire.
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Le second projet représente bien
un tombeau mais la nuit étoilée qui lenvironne nentretient pas de rapports
très particuliers avec Newton, sinon celui métaphorique et hyperbolique qui occupait
lesprit de Boullée :" Cétait dans le séjour de limmortalité,
cétait dans le ciel que je voulais placer Newton ". Le mysticisme maçonnique
était largement répandu au 18e siècle, dans tous les milieux. On sait par
ailleurs que Newton, bien que très grand savant, se passionnait à ses heures pour
lalchimie. Replacé dans ce contexte, le cénotaphe de Newton expose un thème
presque conventionnel, celui dune révélation ou dune " connaissance
" transmise de manière ininterrompue de Zoroastre à Newton. |