Le brouillon
 

"Le goût que nous avons pour les choses de l’esprit s’accompagne nécessairement d’une curiosité passionnée des circonstances de leur formation. Plus nous chérissons quelque créature de l’art, plus nous désirons d’en connaître les origines, les prémisses et le berceau."

Paul Valéry


Le terme "brouillon" n'apparaît qu'en 1551, se définissant, un siècle après l'invention de Gutenberg, par rapport au manuscrit et à l'imprimé. Mais l'objet lui-même avait depuis bien longtemps déjà emprunté les divers supports de l'écriture : feuille de papyrus, tablettes de bois ou de cire...
L'étymologie rattache le mot au germanique brod, "brouet", "bouillon". Ce sont bien là, en effet, les bouillonnements de la pensée que l'on donne à voir en présentant des manuscrits de travail, témoins des hésitations et des blocages, des renoncements et des reprises, des trouvailles et des recherches de leurs auteurs. Conscients de la part d'eux-mêmes qu'ils abandonnent dans leurs archives, les écrivains ont eu, et ont encore, à leur égard une attitude variable, – les détruisant ou bien les conservant dans leur totalité ou en partie pour les léguer à la postérité.
Mais ceux qui, aujourd'hui, écrivent directement sur ordinateur laisseront-ils des traces de leur création ? Cette question en entraîne une autre sur ce que les manuscrits apportent d'irremplaçable à la connaissance d'un auteur et à la compréhension de la genèse de l'écriture. Si l'œuvre est "le masque mortuaire de la création" (selon Walter Benjamin), les brouillons n'en révèlent-ils pas le visage le plus authentique ?