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Le Traité des vertus,
publié pour la première fois en 1949, est le fruit d’une dizaine d’années
de travail. […] Dans les années 1968-1974 paraît une seconde édition,
en trois volumes, entièrement remaniée, revue et corrigée, qui comporte
des textes nouveaux, comme les premières pages présentées ici sous leur
forme manuscrite.
Leur étude montre, selon l’expression
propre à Jankélévitch, une pensée "se faisant", puisqu’elle
rend perceptible le travail du créateur à travers les strates de l’écriture,
dans les ajouts, les ratures ou les marges du texte : texte en mouvement
où le premier jet rédigé a été repris et enrichi de toutes les notes qui
venaient à l’esprit du philosophe pendant son enseignement en Sorbonne.
Ses élèves s’en souviennent. Un mot, une fulgurance, une évocation musicale
surgissaient au milieu de son cours, lui-même émaillé de longues digressions ;
il les notait aussitôt, imprimant à sa pensée un tour nouveau. Et le soir,
à sa table, les idées apparues pendant la journée complétaient le travail
déjà écrit. Il avait toujours, dans le discours comme dans l’écriture,
le souci de parfaire, d’ajouter, de compléter une idée, une trajectoire
de pensée, une inspiration. Et le même souffle infatigable qui, lorsqu’il
parlait à ses étudiants, le faisait tellement ressembler à un chanteur
déchiffrant sa partition, appuyé à sa chaire comme à un piano, et cependant
privé de tout accompagnement.
Jamais cette pensée n’était figée, solidifiée dans une rhétorique implacable ;
au contraire la parole lui conférait le jaillissement, la spontanéité,
mais aussi l’exigence d’approfondissement et de précision propre à la
leçon philosophique. Son talent oratoire envoûtait ses auditeurs, qui
suivaient, parfois avec difficulté, les méandres d’un développement agrémenté
de mots grecs, latins ou russes… rarement traduits. Comme si la dimension
orale était nécessaire à cette pensée en expansion
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