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La rature, comme outil de la
transformation des textes, a probablement une histoire aussi longue que
celle de la culture écrite. Les paléographes ont retrouvé, dans un poème
amoureux griffonné sur un mur de Pompéi, un exemple de rature de substitution
(un mot rayé, remplacé par un autre en interligne) dont la forme, gravée
en graffiti, ressemble de très près à notre usage moderne. Pourtant, même
si la rature est aussi vieille que les tablettes cunéiformes, même si
les papyrus et les parchemins nous donnent les preuves de son usage ininterrompu
depuis l’Antiquité, la rature ne prend toute son importance qu’avec le
médium de notre modernité : le papier, et particulièrement le papier
imprimé, qui donne progressivement au "manuscrit" le statut
de document privé et de support de travail individuel pour l’écrivain.
Le lettré s’engage de plus en plus volontiers dans un rapport personnel
à la rédaction de ses propres œuvres ; il devient son propre scribe.
Si le coûteux parchemin avait conduit à la pratique du palimpseste, le
papier abondant ouvre l’ère du brouillon et de la rature.
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Les banquiers et négociants
italiens, introducteurs du papier arabe en Occident (1100) puis producteurs
du nouveau papier européen (1250), ont aussi été les premiers à faire
de la rature un instrument d’écriture comptable. Son usage a vite été
détourné à d’autres fins par les littéraires. Les brouillons autographes
de Pétrarque (1350) en sont l’un des plus éclatants indices. À partir
de cette date, et jusqu’aux bouleversements récemment induits par les
traitements de texte, l’histoire discrète mais capitale de la rature se
confond avec celle de la création littéraire occidentale : une histoire
où, de simple procédé d’amendement graphique des textes, la rature est
devenue le symbole même du travail intellectuel et artistique de l’écrivain,
tout en se dotant, dans les pratiques concrètes de l’écriture littéraire,
d’un véritable arsenal de fonctions et de déterminations. Cinq siècles
de traces manuscrites, particulièrement riches depuis la fin du XVIIIe
siècle, nous ont légué un formidable terrain de recherche pour comprendre
l’évolution de cette pratique, infiniment plus complexe qu’il n’y paraît
à première vue.
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