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Au milieu de ce démolissement général,
Coupeau prospérait. Ce sacré soiffard se portait comme un charme. Le
pichenet et le vitriol l'engraissaient, positivement. Il mangeait
beaucoup, se fichait de cet efflanqué de Lorilleux qui accusait la
boisson de tuer les gens, lui répondait en se tapant sur le ventre, la
peau tendue par la graisse, pareille à la peau d'un tambour. Il lui
exécutait là-dessus une musique, les vêpres de la gueule, des
roulements et des battements de grosse caisse à faire la fortune d'un
arracheur de dents. Mais Lorilleux, vexé de ne pas avoir de ventre,
disait que c'était de la graisse jaune, de la mauvaise graisse.
N'importe, Coupeau se soûlait davantage, pour sa santé. Ses cheveux
poivre et sel, en coup de vent, flambaient comme un brûlot. Sa face
d'ivrogne, avec sa mâchoire de singe, se culottait, prenait des tons de
vin bleu. Et il restait un enfant de la gaieté ; il bousculait sa
femme, quand elle s'avisait de lui conter ses embarras. Est-ce que les
hommes sont faits pour descendre dans ces embêtements ? La cambuse
pouvait manquer de pain, ça ne le regardait pas. Il lui fallait sa
pâtée matin et soir, et il ne s'inquiétait jamais d'où elle lui
tombait. Lorsqu'il passait des semaines sans travailler, il devenait plus
exigeant encore. D'ailleurs, il allongeait toujours des claques amicales
sur les épaules de Lantier. Bien sûr, il ignorait l'inconduite de sa
femme ; du moins des personnes, les Boche, les Poisson, juraient
leurs grands dieux qu'il ne se doutait de rien, et que ce serait un grand
malheur, s'il apprenait jamais la chose. Mais Mme Lerat, sa propre sœur,
hochait la tête, racontait qu'elle connaissait des maris auxquels ça ne
déplaisait pas. Une nuit, Gervaise elle-même, qui revenait de la chambre
du chapelier, était restée toute froide en recevant, dans l'obscurité,
une tape sur le derrière ; puis, elle avait fini par se rassurer,
elle croyait s'être cognée contre le bateau du lit. Vrai, la situation
était trop terrible ; son mari ne pouvait pas s’amuser à lui
faire des blagues.
Émile Zola, L'Assommoir,
chapitre IX.
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