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Lorsqu’il s’aperçut donc que
Charles avait les pommettes rouges près de sa fille, ce qui signifiait
qu'un de ces jours on la lui demanderait en mariage, il rumina d'avance
toute l'affaire. Il le trouvait bien un peu gringalet, et ce n'était pas
là un gendre comme il l'eût souhaité ; mais on le disait de bonne
conduite, économe, fort instruit, et sans doute qu'il ne chicanerait pas
trop sur la dot. Or, comme le père Rouault allait être forcé de vendre
vingt-deux acres de son bien, qu'il devait beaucoup au maçon,
beaucoup au bourrelier, que l'arbre du pressoir était à remettre : – S’il me la demande, se dit-il, je la lui donne. À l’époque de la Saint-Michel, Charles était venu passer trois jours aux Bertaux. La dernière journée s'était écoulée comme les précédentes, à reculer de quart d'heure en quart d'heure. Le père Rouault lui fit la conduite : ils marchaient dans un chemin creux, ils s'allaient quitter ; c'était le moment. Charles se donna jusqu'au coin de la haie, et enfin, quand on l'eut dépassée : – Maître Rouault, murmura-t-il, je voudrais bien vous dire quelque chose. Ils s'arrêtèrent. Charles se taisait. – Mais contez-moi votre histoire ! Est-ce que je ne sais pas tout ! dit le père Rouault, en riant doucement. – Père Rouault... père Rouault, balbutia Charles. Moi, je ne demande pas mieux, continua le fermier. Quoique sans doute la petite soit de mon idée, il faut pourtant lui demander son avis. Allez-vous-en donc ; je m'en vais retourner chez nous. Si c'est oui, entendez-moi bien, vous n'aurez pas besoin de revenir, à cause du monde, et, d'ailleurs, ça la saisirait trop. Mais pour que vous ne vous mangiez pas le sang, je pousserai tout grand l'auvent de la fenêtre contre le mur : vous pourrez le voir par-derrière, en vous penchant sur la haie. Et il s'éloigna. Charles attacha son cheval à un arbre. Il courut se mettre dans le sentier ; il attendit. Une demi-heure se passa, puis il compta dix-neuf minutes à sa montre. Tout à coup un bruit se fit contre le mur, l’auvent s’étant rabattu, la cliquette tremblait encore. Gustave Flaubert, Madame Bovary, première partie, chapitre III. |