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Alors,
à chaque pièce, cette grande vaurienne lâcha un mot cru, une saleté ; elle
étalait les misères des clients, les aventures des alcôves, elle avait des
plaisanteries d'atelier sur tous les trous et toutes les taches qui lui
passaient par les mains. Augustine faisait celle qui ne comprend pas, ouvrait
de grandes oreilles de petite fille vicieuse. Madame Putois pinçait les
lèvres, trouvait ça bête, de dire ces choses devant Coupeau ; un homme n'a
pas besoin de voir le linge ; c'est un de ces déballages qu'on évite chez
les gens comme il faut. Quant à Gervaise, sérieuse, à son affaire, elle
semblait ne pas entendre. Tout en écrivant, elle suivait les pièces d'un
regard attentif, pour les reconnaître au passage ; et elle ne se trompait
jamais, elle mettait un nom sur chacune, au flair, à la couleur. Ces serviettes-là
appartenaient aux Goujet ; ça sautait aux yeux, elles n'avaient pas servi
à essuyer le cul des poêlons. Voilà une taie d'oreiller qui venait certainement
des Boche, à cause de la pommade dont madame Boche emplâtrait tout son linge.
Il n'y avait pas besoin non plus de mettre son nez sur les gilets de flanelle
de M. Madinier, pour savoir qu'ils étaient à lui ; il teignait la laine,
cet homme, tant il avait la peau grasse. Et elle savait d'autres particularités,
les secrets de la propreté de chacun, les dessous des voisines qui traversaient
la rue en jupes de soie, le nombre de bas, de mouchoirs, de chemises qu'on
salissait par semaine, la façon dont les gens déchiraient certaines pièces,
toujours au même endroit. Aussi était-elle pleine d'anecdotes. Les chemises
de mademoiselle Remanjou, par exemple, fournissaient des commentaires interminables
; elles s'usaient par le haut, la vieille fille devait avoir les os des
épaules pointus ; et jamais elles n'étaient sales, les eût-elle portées
quinze jours, ce qui prouvait qu'à cet âge-là on est quasiment comme un
morceau de bois, dont on serait bien en peine de tirer une larme de quelque
chose. Dans la boutique, à chaque triage, on déshabillait ainsi tout le
quartier de la Goutte-d'Or.
Émile Zola, L'Assommoir,
chapitre XIII.
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