Espace et temps
    Pays de nulle part ou pays proche ?
Les formules traditionnelles " Il était une fois… ", " Au temps jadis… ", placent le conte dans un passé imprécis, aux contours mal définis, hors du temps vécu, du temps historique. Contrée lointaine et fictive, le pays des contes de fées est aussi un monde familier, avec ses villages dominés par le château seigneurial (Le Chat botté) et ses forêts profondes (Le Petit Poucet), ses masures où vivent de pauvres gens (Hänsel et Gretel), ses fontaines et ses rivières auxquelles la tradition populaire attribue un caractère enchanté (Les Fées). Autant de repères qui permettent de situer le conte dans un espace connu.
Le héros quitte un lieu clos pour aller faire sa vie et construire son identité. L’espace du conte se dédouble alors en lieux ouverts que le héros doit parcourir pour, en fin de conte, mieux se retrouver : c’est "le vaste monde" que courent les héros des Contes de Grimm (Les Deux Frères, Le Vaillant Petit Tailleur), où pays inventé, réel et affectif se mêlent pour mieux les égarer.
   
 
  Le foyer, lieu de départ
Un jour, le héros du conte de fées doit quitter le foyer familial pour partir à la recherche de son identité. Cellule protectrice – comme le palais du fond des océans de la Petite Sirène – ou espace d’emprisonnement – comme la maison familiale de Cendrillon –, le foyer est un lieu clos que le héros doit abandonner de façon volontaire ou forcée, chassé par ses parents (Petit Poucet) ou au contraire après y avoir été maintenu contre son gré (Cendrillon, Peau-d’Âne). C’est la première étape, obligatoire, des pérégrinations du héros, et la condition même du récit. Peau d’Âne s’enfuit du domicile familial afin d’éviter les assauts incestueux de son père. Les parents du Petit Poucet préfèrent abandonner leurs enfants dans la forêt plutôt que d’assister à leur mort lente mais inéluctable. Le cas de Cendrillon, maintenue contre son gré au centre même du foyer, près de l’âtre, dans les cendres, ne fait que conforter cette hypothèse. Mais ici le départ du foyer familial ne peut s’effectuer que contre le vœu des parents. De même, Blanche-Neige, enfermée par sa marâtre dans le château de son père, doit, pour recouvrer son identité, affronter les dangers du vaste monde sylvestre et prouver son bon cœur en se mettant au service des sept nains.
 

La forêt, lieu d’initiation
Lieu ouvert, sombre et dense, qui inspire la crainte et l’effroi, peuplé d’animaux cruels (loups) et d’êtres barbares qui se repaissent de chair fraîche (ogres), la forêt brouille tous les repères du héros ainsi que ceux du lecteur-auditeur qui retrouve ses terreurs enfantines. Car la forêt renferme bien des pièges, sous la forme d’un asile trompeur comme cette maison de pain d’épices sur laquelle se précipitent Hänsel et Gretel mourant de faim, sans entendre la petite voix de la sorcière qui les prévient, sur le mode de la ritournelle enfantine : "Grigno, grigno, grignoton / Qui grignote ma maison ? "
   

   
De même, Blanche-Neige trouve refuge dans la maison des sept nains, mais il s’agit d’un asile factice où sa marâtre a tôt fait de la retrouver. Car la forêt, rarement décrite, est aussi un lieu d’initiation. C’est en la traversant que Blondine échappe au cruel magicien de la forêt des Lilas pour trouver refuge auprès de Bonne-Biche et de Beau-Minon (comtesse de Ségur). Le Petit Poucet, vainqueur par deux fois des pièges de la forêt, en sort grandi et transformé, sinon en taille du moins en maturité. Une nouvelle fois, le héros ne triomphe de l’épreuve que lorsqu’il en sort, c’est-à-dire lorsqu’il trouve le moyen de franchir cet espace faussement accueillant ou franchement hostile.
 

Le château, ou l’apothéose du héros
Le château, preuve matérielle de la réussite du héros, est un lieu préservé du monde extérieur, un lieu de sécurité, signe de la complète transfiguration du héros et de son ascension sociale : c’est le cas pour le château de l’ogre acquis bien rapidement par le faux Marquis de Carabas grâce aux ruses du Chat botté. Au-delà de la consécration sociale et de la récompense accordée à la suite des épreuves surmontées victorieusement, le château symbolise le lieu de l’accomplissement définitif. Cendrillon, Peau-d’Âne, Blanche-Neige, la Belle au Bois dormant, sont récompensées de leur vertu et reçoivent en même temps fortune, gloire et époux dans l’espace consacré du château.
Mais le château peut aussi se révéler maléfique, pour ceux qui brûlent de le connaître de fond en comble. C’est le cas de la Belle au Bois dormant, qui, en parcourant le château familial découvre une vieille fileuse oubliée au fond d’un grenier : négligeant toute prudence, elle se saisit de la quenouille et s’endort pour un sommeil de cent ans. C’est aussi le cas de la femme trop curieuse de Barbe-Bleue qui pénètre dans la chambre interdite, en dépit des menaces proférées par son maléfique et terrifiant époux.

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