arrêt sur

Vincenzo Coronelli


Frère mineur et géographe, 1650-1681

Cinquième enfant d'un tailleur, Vincenzo Maria Coronelli naît à Venise le 15 août 1650. Vers 1660, il semble qu'il ait rejoint son frère Francesco à Ravenne où il aurait appris la gravure sur bois. De retour à Venise en 1665, il entre chez les Frères mineurs conventuels à San Nicolo della Lattuca. À une époque imprécise, entre 1667 et 1671, il entame des études d'astronomie qu'il achève avant 1671, date où il passe au grand couvent des Frères de Venise, Santa Maria Gloriosa dei Frari, où il établira plus tard un atelier de gravure de cartes. En 1674, après deux années d'étude au collège Saint Bonaventure de Rome, il devient docteur en théologie. Un peu avant 1678, il commence des travaux de géographe. On ne peut exclure que ses études antérieures d'astronomie n'aient été pour une bonne partie consacrées à la fabrication de "sphères matérielles" ou armillaires, selon une tradition bien établie en Italie, y compris dans le milieu monastique.
Les premières traces de son activité de fabricant de globes apparaissent en 1678 avec la création pour le duc de Parme, Ranuccio II Farnese, de deux globes manuscrits de 1,75 m de diamètre. En 1680, le cardinal César d'Estrées, qui sert alors d'intermédiaire entre les fabricants italiens de lunettes astronomiques et Colbert, se rend dans la luxueuse demeure du duc de Parme à Plaisance où sont installés les globes. Les circonstances de cette visite nous sont connues par la Bibliosofia (1693) du père Giovanni Franchini da Modena :
"Il [Coronelli] en fit deux [globes] pour le Sérénissime [duc] de Parme, qui les conserve dans sa bibliothèque, où les vit l'Éminentissime César cardinal d'Estrées quand en 1680 il vint en Italie. En les voyant il eut envie d'en avoir aussi une paire ; et apprenant qu'il était possible d'en faire d'encore plus grands, mais que le transport en serait difficultueux, il se résolut à inviter le Père Coronelli à Paris pour les fabriquer sur place".
Le projet d'une commande de deux grands globes pour Louis XIV, ne fut pas aussi spontané qu'il y paraît dans le récit du père Franchini. Dès 1671, en effet, il avait été suggéré au cardinal par Jacques Borelli, un membre de l'Académie des Sciences.

À Paris, 1681-1683

Après une première rencontre chez le duc de Parme en 1680, Coronelli et César d'Estrées se sont revus probablement à Venise pour s'entendre sur le projet de réalisation des globes. De Venise, ils auraient fait route ensemble vers Rome, le cardinal allant rejoindre son frère aîné, François-Annibal II, qui y est ambassadeur. De Rome, Coronelli gagne Paris. Dans une lettre du 16 août 1681, il annonce qu'il y est bien arrivé. Il y est accompagné du frère Giambattista Moro. En août 1681, Coronelli loge rue Barbette, à l'hôtel d'Estrées construit pour le père du cardinal, le maréchal François-Annibal Ier, frère de la belle Gabrielle, et vendu en 1689 par le petit-fils du maréchal.
En 1682, le neveu de César achète l'hôtel de Lionne, situé rue Neuve-des-Petits-Champs d'où les globes vont partir pour Marly en 1703, probablement après avoir été construits rue Barbette et avoir été transférés en 1689 à l'hôtel de Lionne, devenu hôtel d'Estrées. Coronelli quitte Paris en 1683 alors que les globes ne sont pas complètement achevés. En juin 1683, il reçoit encore des conseils pour améliorer la géographie. François Le Large indiquera qu'une grande nappe peinte, destinée à accueillir une dissertation sur les quatre parties de la Terre, n'a pas été utilisée, de même que "plusieurs endroits de la géographie" n'ont pas été terminés. Les travaux de décoration qui seront réalisés vingt ans plus tard, se révéleront non négligeables.
Sur la fabrication des globes durant cette période, les renseignements sont fort rares. De l'équipe qui a assisté Coronelli, nous ne connaissons que trois noms, le frère Giambattista Moro, plus artisan que cartographe, un certain Perronel, cartographe et collaborateur du chevalier de Pène et Jean-Baptiste Corneille, le peintre du globe céleste. Bernou, qui suit de Rome l'avancement des travaux, nous apprend dans une lettre datée du 2 novembre 1683 que les globes ont probablement échappé à un incendie. Une autre lettre datée du 1er décembre suivant, nous informe du coût extrêmement important des travaux : "Son Éminence m'a dit que ces globes lui reviennent déjà à 46 M [mille] livres". Coronelli, qui au même moment quitte Paris pour Venise, estimera le total des dépenses à 100 000 livres. On ne connaît pas le montant exact de la somme payée par le cardinal. Il est vraisemblable que le cardinal d'Estrées n'acquittera pas la totalité de la somme évaluée par Coronelli, laquelle est peut-être exagérée. Par ailleurs, la rétribution versée par le Roi à Coronelli dépend de la livraison des globes à leur illustre destinataire et de leur exposition. Comme le dit d'une manière imagée Bernou : "on ne peut ruer les grands coups que quand l'ouvrage aura paru". Or la "parution" des globes se révélera beaucoup plus longue que prévue. En 1684, le cardinal accorde au cosmographe une pension de 660 livres, espérant que Louis XIV complète ces premiers apports. La récompense de Louis XIV sera tardive : le 4 décembre 1693, Coronelli recevra une chaîne en or d'un grand prix ornée du portrait du Roi, complétée par une pension de 300 écus (900 livres).

 

Cosmographe de Venise, 1683-1718

De retour à Venise en novembre 1683, Coronelli qui a le sens du commerce doit répondre aux propositions des Hollandais qui s'intéressent à son travail parisien et veulent l'utiliser pour graver des cartes. Le cardinal d'Estrées intervient : on ne doit rien publier avant que le Roi n'ait reçu son présent. En 1684, Coronelli fonde l'Académie des Argonautes, qui va l'aider à diffuser son œuvre et lui apporter une partie de l'aide financière dont il a un urgent besoin. Pour couronner sa carrière géographique, le 12 mars 1685, il est nommé par le sénat Cosmographe de la Sérénissime République de Venise et se met ainsi sous la protection du pouvoir politique à l'instar des autres géographes. Entre 1685 et 1693, il publie à Venise une série de cartes géographiques qui serviront à illustrer tous les volumes de l'Atlante Veneto parus à partir de 1690 ainsi que le Corso geographico (1692-1693) et l'Isolario en deux volumes (1696-1697).
Une des parties les plus originales de la production de Coronelli date des années 1684-1688, au moment où reportista de la guerre contre les Turcs, il réalise des cartes des Balkans et de la Dalmatie. Par un privilège de Louis XIV du 28 décembre 1686, Coronelli obtient l'autorisation d'imprimer en France. Il signe deux importants contrats avec Jean-Baptiste Nolin, un graveur parisien : l'un pour la gravure du globe céleste de Louis XIV, l'autre pour la gravure de cartes. Deux ans plus tard est publiée la première édition des réductions de 108 cm, effectuées à partir des grands globes du Roi-Soleil : le globe céleste est gravé à Paris, le terrestre à Venise. Coronelli les dédie au doge. Vendus dans toute l'Europe, ces globes obtiennent un grand succès.
 
En 1701, Coronelli publie le premier volume (sur trente-cinq prévus) de son "Grand Dictionnaire", la Biblioteca universale. Souverains et cardinaux reçoivent des exemplaires du dictionnaire accompagnés de la requête de soutenir l'auteur au moment de l'élection à la charge de général de l'ordre des frères mineurs conventuels. Le cosmographe pourra surtout compter sur le cardinal d'Estrées dont le soutien, comme l'affirmera le duc de Toscane, sera décisif dans l'élection.
Élu le 14 mai 1701, Coronelli est au sommet de sa gloire et de sa fortune. Dans son ascension, il a pu compter sur le soutien du pape Innocent XII et sur la bienveillance du nouveau pape, Clément XI, nommé en 1700. Quatre années plus tard, cependant, Coronelli doit faire face à des enquêtes concernant les dépenses exagérées auxquelles l'ont entraîné ses publications. Le 17 novembre 1704, il est suspendu de ses fonctions religieuses par décision pontificale. S'il garde encore le titre de Cosmographe de la Sérénissime République de Venise, ce titre n'est plus qu'honorifique, la rémunération étant suspendue en 1705. En 1708, il projette de construire des globes quatre fois plus grands que ceux de Louis XIV, mais abandonne, faute de moyens. Il ne s'imposera à nouveau à l'attention de ses concitoyens qu'en tant qu'ingénieur hydraulique et architecte de projets militaires et civils, intéressants mais irréalisables. Jusqu'à sa mort en 1718, il continuera à vendre des cartes et des globes provenant de son propre fonds.
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