Tableau représentant des pêcheurs qui font l'huile de baleine
Détail du globe terrestre
Vincenzo Maria Coronelli, 1681-1683.
BnF, Département des Cartes et plans, GE A 500 RES
© Bibliothèque nationale de France
On trouve des baleines par tout l'Océan et c'est pour cela que le père Coronelli en a fait peindre sur ce globe en plusieurs endroits, savoir, autour de cette terre, dans la mer d'Éthiopie, dans celle du Chili et au milieu de la mer du Sud, mais les Européens n'en font la pêche que dans le nord, ce qui est représenté par ce tableau. Voici comment cette pêche se fait :
Plusieurs pêcheurs se mettent dans une barque, le plus fort et le plus adroit porte le harpon qui est une manière de dard de trois à quatre pieds de long où est attachée une corde fort longue et pas plus grosse qu'un tuyau de plume, mais très forte. Étant proche de la baleine, le harponneur lui jette le harpon, proche de la tête qui est l'endroit où elle est le plus sensible, puis il file la corde pendant qu'elle se plonge dans la mer, ce seul coup serait suffisant pour faire mourir la baleine, parce qu'ayant la chair fort tendre, le harpon entre dans son corps jusqu'à la corde et aussi parce qu'une plaie ne se guérit jamais dans l'eau, mais pour avoir plus tôt fait, les pêcheurs lui percent les flancs avec de longues lances lorsqu'elle revient sur l'eau pour faire l'évacuation des eaux qu'elle a avalées en se plongeant. Il arrive quelquefois que la baleine renverse la barque des pêcheurs d'un coup de sa queue ou que n'étant pas bien blessée, elle l'entraîne d'une telle vitesse qu'en moins d'une heure elle leur fait faire 8 à 10 lieues. Quand elle est morte, plusieurs barques, à la file, la mènent à bord, puis on la tire à terre avec un cabestan.
Toute la chair de la baleine, qu'on appelle lard de baleine est fort huileuse et n'est guère bonne à manger, on la coupe par morceaux pour en faire de l'huile ce qui se fait en la faisant fondre dans de grandes chaudières. Comme il n'y a point de bois dans ces climats froids on est obligé d'en porter d'Europe, mais seulement pour faire bouillir la première chaudière, car le marc de la première sert à faire bouillir la seconde, celui de la deuxième la troisième et ainsi de suite, jusqu'à la dernière.
L'huile de baleines est d'un grand usage, elle sert à engraisser le bray dont on enduit la partie du vaisseau qui entre dans l'eau, pour brûler à la lampe, pour les drapiers, pour les corroyeurs, pour les peintres qui s'en servent dans de certaines couleurs, pour faire du savon et pour plusieurs autres usages.
Outre l'huile qu'on tire en grande quantité de la baleine, on en tire encore des fanons ou barbes dont on se sert pour mettre dans les corps de femmes, et pour faire plusieurs autres choses qui sont assez connues dans le monde. Les fanons sont proprement des planches de baleine de 15 à 20 pieds de longueur, larges de 18 pouces, et épaisses d'un pouce et demi par le gros bout, l'autre bout est arrondi et frangeu [?] comme nous voyons que le sont les grands brins de baleine chez les marchands.
Quelques-uns veulent que les fanons se tirent des nageoires, d'autres disent que ce sont des ouïes et il y en a qui prétendent que c'est dans la gueule de l'animal attachés par ordre à son palais et que cela lui sert à dilater ses joues pour y pouvoir mettre le baleinon dans le temps des tempêtes, lorsqu'il est encore jeune, mais la plus commune opinion est que ce sont les barbes de la baleine et on les appelle même communément barbes de baleine. Il se pourrait bien faire aussi que ce que l'on tire des ouïes, des nageoires, etc., fût de même nature que les fanons et de figure à peu près semblable, ce qui les aurait fait prendre par plusieurs pour les fanons même.
Ce qu'il y a de particulier dans la baleine c'est qu'étant comme il a été dit au commencement de cette explication, le plus gros de tous les animaux, cependant elle n'a pas le gosier plus large qu'un boeuf, ses yeux sont aussi fort petits.
Pour les autres parties, elles sont monstrueuses, étant proportionnées à la grandeur de son corps. Les côtés semblent des pièces de bois de charpente, et les habitants de l'île d'Islande s'en servent au lieu de poutres et de solives dans leurs bâtiments.
Les Biscayens sont les plus habiles pêcheurs de baleines qu'il y ait en Europe, ce qui leur vient de ce que fort souvent il en échoue sur leurs côtes lorsqu'elles se retirent du nord. Ce sont eux aussi qui ont osé les premiers approcher des baleines en pleine eau pour les harponner, car les Anglais, les Hollandais et plusieurs autres nations dans le commencement qu'ils ont été à cette pêche ne prenaient que celles qui échouaient sur le sable et celles que les Biscayens abandonnaient après les avoir harponnées.
On voit dans cet endroit deux baleines à terre, les fourneaux et les auges qui servent à faire l'huile, et des tonneaux dans quoi on la met pour la transporter en Europe. On y voit aussi plusieurs cabanes de pêcheurs, un cabestan pour tirer les baleines hors de l'eau, et plusieurs autres choses qu'on connaît aisément en les voyant. Les personnages qui sont représentés dans ce tableau s'occupent à différentes manoeuvres qui servent à faire l'huile, entre lesquels on voit un harponneur qui tient un harpon dans sa main.