Empreintes


Les empreintes les plus diverses viennent relayer l'usage du pinceau : dentelles – l'expérience la plus répétée –, pièce de monnaie, feuille de fougère, fond de bouteille, ou tout simplement empreinte des doigts.

 

  Empreinte de dentelles

Apparues à la fin de 1855, les empreintes de dentelles se poursuivent jusqu'à l'été 1856. Il semble bien qu'au travers de toutes ces applications, ce soit la même dentelle qui ait été utilisée : les motifs de fleurs et de trèfles se répètent d'une application à l'autre. Pour les obtenir, Victor Hugo pressait entre deux feuillets la dentelle, avec de la mine de graphite, imprégnée d'encre et de rehauts de gouache. Les empreintes ont donc toujours leur symétrique, comme les papiers découpés avaient leur complément. L'emploi de dentelles permet au poète, comme avec les pochoirs, de dupliquer un dessin en faisant intervenir sa fantaisie, non plus au gré du contour d'un découpage, mais à celui d'un réseau.
   


On voyait dans les cieux, avec leurs larges ombres,
Monter comme des caps ces édifices sombres,
Immense entassement de ténèbres voilé !
Le ciel à l'horizon scintillait étoilé,
Et, sous les mille arceaux du vaste promontoire,
Brillait comme à travers une dentelle noire.

"Le Feu du ciel", Les Orientales, VII

  


La composition, intitulée "Les Orientales", semble dictée par le poème "Le Feu du ciel". Comme le remarquait Judith Petit, la dentelle est "textile, textes" et les poèmes de Hugo contribuent à expliquer la série des dessins créés alors.

 

 

Une expression de l'emprisonnement


Les empreintes que multiplie le poète sont sans doute l'expression graphique du sentiment d'emprisonnement que suscite en lui l'exil : lancinante répétition qui rappelle le décor dont Alfred Dreyfus, emprisonné à l'île du Diable, couvrait des pages entières de cahier.

 

 

Le 1er janvier 1856, d'ailleurs, est marqué par l'envoi d'une série de "cartes de visite" où s'imprime la dentelle. Leur construction répond aux sentiments contradictoires qui animent alors Hugo à l'arrivée à Guernesey. Prison, certes : l'expulsion et le départ de Jersey, à la fin d'octobre 1855, sont pour le poète "un troisième l'exil". Mais, en même temps, celui-ci découvre l'île avec ravissement, comme le remarque Adèle Hugo dans une lettre à madame Paul Meurice. Les rehauts d'or et de gouache rouge traduisent cette sorte de jubilation. Dans les espaces que laisse au dessin la dentelle, apparaissent des paysages de l'ancien Guernesey, comme pour donner plus de relief à ce qui le rapprochait de la France, le vieux fonds normand commun. Enfin, le poète est également captif de son œuvre, comme l'araignée au cœur de sa toile.
   

 
    

 

 

Lorsqu'il arrive à Guernesey, Hugo achève la rédaction des Contemplations, ce recueil organisé symétriquement à l'instar des applications de dentelles, Aujourd'hui répondant à Autrefois avec une ligne de brisure, la mort de Léopoldine. Les images sans cesse répétées de voile ("À celle qui est voilée"), de linceul, de suaire, sont peut-être autant d'équivalents poétiques des dessins inspirés de dentelles : Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange/ Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange ("À celle qui est restée en France").

 

  Empreinte de fougère
 

L'empreinte d'une feuille de fougère évoque la démarche des surréalistes. Il arrive d'ailleurs que Victor Hugo ait une approche de la littérature qui sera aussi celle d'André Masson. Voyageant sur le chemin, Hugo, en se penchant découvre un microcosme :
   

 


À Freiburg j'ai oublié longtemps l'immense paysage que j'avais sous les yeux pour le carré de gazon dans lequel j'étais assis. C'était sur une petite bosse sauvage de la colline. Là il y avait un monde. Les scarabées marchaient lentement sous les fibres profondes de la végétation ; des fleurs de ciguë en parasol imitaient les pins d'Italie ; [...] près d'une flaque d'eau qui n'eût pas rempli une cuvette, je voyais sortir de la vase et se tordre vers le ciel, en aspirant l'air un ver de terre semblable aux pythons antédiluviens, et qui a peut-être aussi lui, dans l'univers microscopique, son Hercule pour le tuer et son Cuvier pour le décrire. En somme, cet univers-là est aussi grand que l'autre. Je me supposais Micromégas.

Le Rhin, II

   


L'application de la feuille de fougère rejoint l'esthétique de Miró : "Ce qui m'intéresse par-dessus tout c'est la calligraphie d'un arbre ou des tuiles d'un toit, feuille par feuille, rameau par rameau, brin d'herbe par brin d'herbe." Son œuvre gravé, d'ailleurs, est peuplé d'insectes, de chouettes, de crapauds, de grands ducs : cette énumération, à elle seule, fait surgir Ies titres de poèmes de La Légende des siècles ou les images de dessins du poète. Les deux artistes se rejoignent aussi dans l'utilisation de la dentelle. Après Hugo, la mantille espagnole inspire à Miró des compositions : La Souris noire à la mantille, thème décliné avec des variantes (dans une autre de ses planches, le rouge a remplacé le noir), à la façon des cartes de visite du poète.

 

 

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