Dans l’ombre de l’homme public, à la fois poète, dramaturge et romancier, se cache la figure de l’artiste graphique. Dès l’enfance, les carnets de Hugo révèlent un plaisir à laisser courir sa plume selon les caprices du hasard ou de l’inconscient. Mais c’est surtout lors de ses voyages avec Juliette Drouet que se développe sa veine picturale. Dans les années 1840, la révélation du Rhin puis la mort tragique de sa fille Léopoldine accentuent en lui le goût du fantastique et des ténèbres. Très pris par ses activités politiques, il délaisse quelque peu l’écriture pour dessiner sans relâche un univers à la mesure de son imagination : vues de châteaux surnaturels ou fantomatiques, de forêts angoissantes, d’aspects insolites de Paris ou de mystérieux végétaux. L’exil, tout en renouvelant son inspiration, suscite des expériences propres à traduire sa fièvre de création : fusain, gouache, aquarelle, mais aussi pochoirs, découpages, empreintes…
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L’œuvre
graphique de Hugo est un univers de contrastes où tout semble déconstruit
et reconstruit sous l’effet d’une imagination libérée des
contraintes de l’écriture. Si pour le poète, les voyelles
portent les couleurs de l’arc-en-ciel, son langage graphique révèle
un chaos traversant toutes les nuances du noir et du blanc. Orages, tempêtes,
paysages tourmentés, brumes des cimes, burg fantastique, où
le plus petit, soumis aux "grossissements
de la rêverie" peut devenir gigantesque : les "choses vues"
deviennent visions, mirages où seul le caprice de l’imaginaire préside
au destin de l’image. La réalité n’existe que dans les mouvements
de la "désagrégation" et des "nuées" : "ceci flotte
et se décompose, ceci est stable et incohérent. Un reste d’angoisse
est dans la création". L’activité graphique ouvre la voie
à cette angoisse échappée de la conscience car "on
ne peut rien saisir, on a sur soi on ne sait quelle évidence noire".
Si Hugo "jette l’encre au hasard sur le papier", c’est peut-être pour
explorer cette part incontrôlable du processus de création
et pour mieux approcher l’invisible, entre l’ombre et la lumière.
Cette part méconnue de son œuvre, qualifiée par son auteur "d’espèces d’essais faits par moi, à des heures de rêverie presque inconsciente, avec ce qui restait d’encre dans ma plume", rend compte d’une sensibilité qui "n’oublie jamais qu’en ce monde toute figure, belle ou difforme, est suivie d’un spectre noir comme d’un page ténébreux" (Théophile Gautier).
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