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Il
était dans une grande cave. Il avait au-dessus de lui quelque chose
comme le dessous d'un crâne démesuré. Ce crâne
avait l'air fraîchement disséqué. Les nervures ruisselantes
des stries du rocher imitaient sur la voûte les embranchements des
fibres et les sutures dentelées d'une boîte osseuse. Pour
plafond, la pierre ; pour plancher, l'eau ; les lames de la
marée, resserrées entre les quatre parois de la grotte,
semblaient de larges dalles tremblantes. La grotte était fermée
de toutes parts. Pas une lucarne, pas un soupirail ; aucune brèche
à la muraille, aucune fêlure à la voûte. Tout
cela était éclairé d'en bas à travers l'eau.
C'était on ne sait quel resplendissement ténébreux.
Gilliatt, dont les pupilles s'étaient dilatées pendant le
trajet obscur du corridor, distinguait tout dans ce crépuscule.
Il connaissait, pour y être allé plus d'une fois, les caves
de Plémont à Jersey, le Creux-Maillé à Guernesey,
les Boutiques à Serk, ainsi nommées à cause des contrebandiers
qui y déposaient leurs marchandises ; aucun de ces merveilleux
antres n'était comparable à la chambre souterraine et sous-marine
où il venait de pénétrer.
Gilliatt voyait en face de lui sous la vague une sorte d'arche noyée.
Cette arche, ogive naturelle façonnée par le flot, était
éclatante entre ses deux jambages profonds et noirs. C'est par
ce porche submergé qu'entrait dans la caverne la clarté
de la haute mer. Jour étrange donné par un engloutissement.
Cette clarté s'évasait sous la lame comme un large éventail
et se répercutait sur le rocher. Ses rayonnements rectilignes,
découpés en longues bandes droites sur l'opacité
du fond, s'éclaircissant ou s'assombrissant d'une anfractuosité
à l'autre, imitaient des interpositions de lames de verre. Il y
avait du jour dans cette cave, mais du jour inconnu. Il n'y avait plus
dans cette clarté rien de notre lumière. On pouvait croire
qu'on venait d'enjamber dans une autre planète. La lumière
était une énigme ; on eût dit la lueur glauque
de la prunelle d'un sphinx. Cette cave figurait le dedans d'une tête
de mort énorme et splendide ; la voûte était
le crâne, et l'arche était la bouche ; les trous des
yeux manquaient. Cette bouche, avalant et rendant le flux et le reflux,
béante au plein midi extérieur, buvait de la lumière
et vomissait de l'amertume. Certains êtres, intelligents et mauvais,
ressemblent à cela. Le rayon du soleil, en traversant ce porche
obstrué d'une épaisseur vitreuse d'eau de mer, devenait
vert comme un rayon d'Aldébaran. L'eau, toute pleine de cette lumière
mouillée, paraissait de l'émeraude en fusion. Une nuance
d'aigue-marine d'une délicatesse inouïe teignait mollement
toute la caverne. La voûte, avec ses lobes presque cérébraux
et ses ramifications rampantes pareilles à des épanouissements
de nerfs, avait un tendre reflet de chrysoprase. Les moires du flot, réverbérées
au plafond, s'y décomposaient et s'y recomposaient sans fin, élargissant
et rétrécissant leurs mailles d'or avec un mouvement de
danse mystérieuse. Une impression spectrale s'en dégageait ;
l'esprit pouvait se demander quelle proie ou quelle attente faisait si
joyeux ce magnifique filet de feu vivant. Aux reliefs de la voûte
et aux aspérités du roc pendaient de longues et fines végétations
baignant probablement leurs racines à travers le granit dans quelque
nappe d'eau supérieure, et égrenant, l'une après
l'autre, à leur extrémité, une goutte d'eau, une
perle. Ces perles tombaient dans le gouffre avec un petit bruit doux.
Le saisissement de cet ensemble était indicible. On ne pouvait
rien imaginer de plus charmant ni rien rencontrer de plus lugubre.
C'était on ne sait quel palais de la Mort, contente.
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