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Vers les neuf heures du matin on entendit du côté
de la mer des bruits épouvantables, comme si des torrents d'eau,
mêlés à des tonnerres, eussent roulé du haut
des montagnes. Tout le monde s'écria : « Voilà l'ouragan
! » et dans l'instant un tourbillon affreux de vent enleva la brume
qui couvraît l'île d'Ambre et son canal. Le Saint-Géran
parut alors à découvert avec son pont chargé de monde,
ses vergues et ses mâts de hune amenés sur le tillac, son
pavillon en berne, quatre câbles sur son avant, et un de retenue
sur son arrière. Il était mouillé entre l'île
d'Ambre et la terre, en deçà de la ceinture de récifs
qui entoure l'Ile de France, et. qu'il avait franchie par un endroit où
jamais vaisseau n'avait passé avant lui. Il présentait son
avant aux flots qui venaient de la pleine mer, et à chaque lame
d'eau qui s'engageait dans le canal, sa, proue se soulevait tout entière,
de sorte qu'on en voyait la carène en l'air ; mais dans ce mouvement
sa poupe, venant à plonger, disparaissait à la vue jusqu'au
couronnement, comme si elle eût été submergée.
Dans cette position où le vent et la mer le jetaient à terre,
il lui était également impossible de s'en aller par où
il était venu, ou, en coupant ses câbles, d'échouer
sur le rivage, dont il était séparé par de hauts fonds
semés de récifs. Chaque lame qui venait briser sur la côte
s'avançait en mugissant jusqu'au fond des anses, et y jetait des
galets à plus de cinquante pieds dans les terres ; puis, venant
à se retirer, elle découvrait une grande partie du lit du
-rivage, dont elle roulait les cailloux avec un bruit rauque et affreux.
La mer, soulevée par le vent, grossissait à chaque instant,
et tout le canal compris entre cette île et l'île d'Ambre n'était
qu'une vaste nappe d'écumes blanches, creusées de vagues
noires et profondes. Ces écumes s'amassaient dans le fond des anses
a plus de six pieds de hauteur, et le vent, qui en balayait la surface,
les portait par-dessus l'escarpement du rivage à plus d'une demi-lieue
dans les terres. A leurs flocons blancs et innombrables, qui étaient
chassés horizontalement jusqu'au pied des montagnes, on eût
dit d'une neige qui sortait de la mer. L'horizon offrait tous les signes
d'une longue tempête ; la mer y paraissait confondue avec le ciel.
Il s'en détachait sans cesse des nuages d'une forme horrible qui
traversaient le zénith avec la vitesse des oiseaux, tandis que d'autres
y paraissaient immobiles comme de grands rochers. On. n'apercevait aucune
partie azurée du firmament ; une lueur olivâtre et blafarde
éclairait seule tous les objets de la terre, de la mer, et des cieux.
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