Les lusiades
Luís de Camões
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Cependant cinq soleils étaient passés depuis que nous avions quitté ces lieux, fendant, sous les risées d’un vent favorable, des mers jamais sillonnées de personne, quand une nuit, veillant sans inquiétude à la proue effilée du vaisseau, nous vîmes une nuée paraître au-dessus de nos têtes, et assombrir le ciel.

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« Elle était si redoutable et si pesante qu’elle jeta grand effroi dans nos cœurs ; au loin, la mer assombrie grondait et rugissait, comme si elle se ruait vainement sur un écueil. « Ô suprême Puissance, m'écriais-je, quelle divine menace, quel secret ces cieux et cette mer viennent-ils nous présenter ? Quelle est cette chose qui surgit, plus grave qu’une tourmente ?.

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Je n’avais pas achevé que déjà, dans les airs, nous apparaît une forme robuste et vigoureuse, à la stature difforme et gigantesque ; son visage était sombre, sa barbe repoussante, ses yeux caves, son maintien terrible et farouche, son teint terreux et pâle, ses cheveux souillés de terre et crépus, sa bouche noire et ses dents jaunes.

[…]

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« Le monstre horrible continuait, disant nos destinées, quand, me dressant, je lui dis : « Qui donc es-tu, toi, dont le corps étonnant m’a frappé de stupeur ? » Alors, tordant la bouche, roulant des yeux ténébreux, et lançant un cri terrible, immense, il me répondit d’une voix caverneuse et amère, comme quelqu’un que ma question eût meurtri.

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« Je suis cet occulte et grand cap, que vous autres nommez le Cap des Tempêtes : car jamais à Ptolémée, Pomponius, Strabon, Pline, ni à aucun des anciens, je ne me fis connaître. Je termine ici toute la côte africaine, en ce mien promontoire jamais aperçu, qui s’étend vers le Pôle antarctique, et que vient offenser votre témérité.

Luís de Camões, Les lusiades, 1572, trad. Roger Bismut