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Est-ce la mer qui arrive sur la côte ? Ou
la côte qui arrive sur la mer ? Est-ce la terre qui interrompt la
masse de l'eau, ou l'eau qui limite la terre? Je me tiens devant la mer,
la mer de chez moi, celle qui touche 1a côte basque et me sert de
repère pour regarder les autres mers. En face il y a l'Amérique,
mais d'abord, à quelques milles à peine, de très profondes
fosses, une fracture, un mur jusqu'au fond de l'eau. Au Nord, il y a la
forêt. Au Sud, la frontière de l'Espagne. A l'Est, la masse
du continent. A l'Ouest tout est bleu. Le regard est happé par ce
bleu qui ouvre la géographie d'angle. C'est à cause de ce
coin peut-être, un angle droit, qu'il y a autant de vagues ; à
cause du mur des fosses aussi, qui brise l'eau dans la profondeur. C'est
une mer en forme de dièdre.
Les vagues ici sont des rouleaux. La plage descend doucement. L'eau
se tient nettement au-dessus et s'effondre pour pouvoir toucher terre,
pour faire la jointure : sinon l'espace béerait. Le vide au cœur
du rouleau, celui que les surfeurs nomment : le tube, est cet espace béant
qui resterait ouvert si la mer ne touchait pas terre. Le tube marque la
place éphémère du vide, avant la fermeture, avec fracas,
de la matière. C'est une mise en ordre en spirale, comme à
l'intérieur de certains moteurs tubu-laires est gravée une
hélicoïde empêchant la mèche de dévier,
la vis de glisser hors de l'écrou, le piston de riper ; la vague
de cette côte contient géométriquement le vide, elle
l'organise, elle l'admet dans le sens imposé d'une rotation. L'air
qui s'engouffre émet un claquement, une secousse d'implosion, la
spi-rale se ferme pour s'ouvrir par-derrière : dans ce balancement
se réenclenche la mécanique admettant, une infime fraction
de temps, un phénomène ailleurs banni par la nature. J'ai
cru un court moment d'enfance que toutes les côtes, tous les endroits
du monde où la mer et la terre se touchent, donnaient à voir
ce mou-vement; ce désordre et cet ordre affrontés, ces éclats
de vide en permanence dans la matière. |