Chant XIV
Cela n'a rien d'un massacre ni d'une bombe ;
personne ne saigne, personne n'est déchiqueté ;
tout simplement il y en a de plus en plus,
ça veut s'engouffrer partout, tout se gonfle et ondule ;
des gouttes perlent, des filets se forment ; simplement
ça imprègne tes semelles, ça s'infiltre
dans tes manchettes, ça détrempe
ton col contre ta nuque ; ça baigne les lunettes,
ça suinte dans les coffres-forts, et sur les rosaces de stuc
il se forme des taches sombres ; tout simplement, c'est ainsi,
Tout a l'odeur de son odeur inodore ;
ça goutte, ça gicle, ça se déverse, ça
jaillit,
son pas progressivement, mais pêle-mêle, aveuglément,
ça mouille biscuits, chapeaux de feutre et culottes,
ça stagne comme une flaque de sueur sous les roues du fauteuil
roulant,
ça emplit les pissotières d'un flot saumâtre, et
ça gargouille
dans les fours ; et puis ensuite c'est simplement là, humide et
sombre,
calme, immobile, et ça monte tout simplement, lentement, lentement,
faisant remonter de petits objets, des jouets, des objets précieux,
des flacons pleins de liquides infâmes,
entraînant tout sans distinction dans ses tourbillons,
objets de caoutchouc, objets morts et brisés ; jusqu'au moment
Où tu la sens toi-même à l’intérieur
de ta poitrine,
insistante et salée, s'immisçant patiemment,
froide et sans violence, atteignant d'abord tes jarrets,
et puis tes hanches, et puis tes mamelons de seins,
et puis tes clavicules ; jusqu'au moment enfin où elle touche
ton cou, où tu la bois, où tu la sens gagner
l'intérieur de ton corps, tes bronches, ta matrice, où
tu sens l'eau
comme assoiffée chercher ta bouche ; où tu la sens
qui veut être engloutie - et engloutir. |