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Il y avait, au large, des crépuscules d'une
beauté à pleurer. A ces moments-là, la mer était
absolument déserte, le soleil incandescent restait suspendu au-dessus
de l'horizon occidental telle une énorme étoile écarlate
colorant en rouge sang le ciel avoisinant, tandis que, à 1 'orient
- que ce soleil trop bas ne parvenait plus à éclairer - ce
même ciel virait au noir, que la mer n'était plus qu'une houle
aux reflets de pétrole et que le pouls puissant de l'océan
faisait doucement osciller le navire. Lors de tels crépuscules,
on pouvait. croire que le monde était réconcilié avec
lui-même et que, partout, beauté et bonté ne faisaient
plus qu'un.
Ces moments-là, Marcel les passait toujours seul, à la proue.
Ses hommes sentaient bien qu'il désirait ne pas être dérangé
et ils évitaient de le faire. Sundgren l'observait du haut de la
passerelle et se demandait souvent à quoi il pensait.
Mais, si Sundgren lui avait posé la question - ce qui ne serait
jamais venu à l'esprit de ce dernier -, il n'aurait probablement
pas obtenu de réponse. D'ailleurs, comment être sûr
que Marcel savait à quoi il pensait, au cours de ces heures pendant
lesquelles il restait à contempler la mer, à l'avant de son
bateau ? Peut-être se tenait-il là parce qu'il y était
obligé, parce qu'un beau crépuscule marin lui donnait un
sentiment de plénitude et écartait de son esprit toute idée
du monde et de ses habitants, ces milliards d'êtres humains qui avaient
le droit que leur vie ait un sens, le peu de temps qu'elle durait, mais
dont l'existence était souvent gâchée à des
choses de rien du tout, avant de se perdre dans le sable. |