|
|
Quand ils reprirent la mer, ils essuyèrent
une tempête d'une violence telle que, lorsque le cinquième
jour se leva sur la lutte fantastique que soutenait le Saltash contre les
flots déchaînés pour arriver seulement jusqu'au sud
de l'Islande, Ericson se dit que c'était le pire temps de toute
la guerre, le pire du monde entier. La mer était devenue comme un
champ de bataille rugissant, où l'ouragan chassait et soulevait
les navires comme des bouts de papier. Le convoi n'avait plus la forme
d'un convoi ; un bateau était à peine un bateau dans cette
immensité hurlante. Ce tumultueux coup de vent du sud, croissant
en furie de jour en jour, semblait animé d'une méchanceté
à laquelle on ne pouvait échapper ; chaque navire était
comme un fugitif désespéré, condamné à
être lynché par une foule dont les mouvements avaient passé
d'une mauvaise humeur maladroite à une rage aveugle. De gigantesques
vagues se précipitaient en grondant sur les pygmées qui devaient
être leurs proies ; parfois la surface tout entière de là
mer se soulevait d'un coup, et le navire qui se trouvait sur le chemin
son assaut tremblait et chancelait tandis que des tonnes d'eau verte s'écroulaient
sur son pont et dévalaient en torrent sur toute sa longueur. Les
embarcations étaient fracassées, les cheminées bosselées,
les passerelles et les roufs écrasés; des hommes disparaissaient
par-dessus bord sans une trace, sans un cri, balayés de la vie comme
des images effacées d'un tableau noir par un impérieux coup
d'éponge. Même quand les vagues retenaient un moment leurs
coups, le vent, qui hurlait et s'acharnait dans le gréement, serrait
de peur chaque cœur ; car s'il était capable d'arracher de
matériel du pont, les hommes ne pourraient résister à
sa force terrible. Pour l'équipage du Saltash, il n'y avait plus
de convoi et plus d'autres vaisseaux que le leur ; ils étaient depuis
tant de jours et tant de nuits effroyables la proie des éléments
qu'ils pouvaient être vaincus par leur seule brutalité. Le
Saltash avait déjà affronté bien des tempêtes
et avait eu souvent de la force de reste pour venir en aide à d'autres
navires en difficulté, mais à présent uniquement occupé
de lui-même, il peinait pour rester à flot, accomplissant
heure après heure et jour après jour, les manœuvres
désespérées d'un bateau qui refusait, sous la contrainte
la plus violente, de se laisser engloutir. Pendant tout ce temps, un plaisantin
ne cessait de chanter dans le haut-parleur une berceuse censée calmer
le navire et la mer. |