Le soleil ne s'était pas encore levé.
La mer et le ciel eussent semblé confondus, sans les mille plis
légers des ondes pareils aux craquelures d'une étoffe froissée.
Peu à peu, à mesure qu'une pâleur se répandait
dans le ciel, une barre sombre à l'horizon le sépara de
la mer, et la grande étoffe grise se raya de larges lignes bougeant
sous sa surface, se suivant, se poursuivant l'une l'autre en un rythme
sans fin.
Chaque vague se soulevait en s'approchant du rivage, prenait forme, se
brisait, et traînait sur le sable un mince voile d'écume
blanche. La houle s'arrêtait, puis s'éloignait de nouveau,
avec le soupir d'un dormeur dont le souffle va et vient sans qu'il en
ait conscience. Peu à peu la barre noire de l'horizon s'éclaircit
: on eût dit que de la lie s'était déposée
au fond d'une vieille bouteille, laissant leur transparence aux vertes
parois de verre. Tout au fond, le ciel lui aussi devint translucide comme
si un blanc sédiment s'en était détaché,
ou comme si le bras d'une femme couchée sous l'horizon avait soulevé
une lampe : des bandes de blanc, de jaune, de vert s'allongèrent
sur le ciel comme les branches plates d'un éventail. Puis la femme
invisible souleva plus haut sa lampe ; l'air enflammé parut se
diviser en fibres rouges et jaunes, s'arracher à la verte surface
dans une palpitation brûlante, comme les lueurs fumeuses au sommet
des feux de joie. Peu à peu les fibres se fondirent en une seule
masse incandescente ; la lourde couverture grise du ciel se souleva,
se transmua en un million d'atomes bleu tendre. La surface de la mer
devint lentement transparente ; les larges lignes noires disparurent
presque sous ces ondulations et sous ces étincelles. Le bras qui
tenait la lampe l'éleva sans hâte : une large flamme apparut
enfin. Un disque de lumière brûla sur le rebord du ciel,
et la mer tout autour ne fut plus qu'une seule coulée d'or.
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