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- Je me détourne
du soleil. Ohé, Tashtego, fais-moi entendre ton marteau.
Oh ! vous mes trois mâts invincibles... toi, contre-quille
intacte... coque par Dieu seul intimidée... toi, ferme
pont, barre fière, proue pointée vers le Pôle...
navire à la mort glorieuse, devras-tu périr
sans moi ? Suis-je frustré de la dernière satisfaction
d'orgueil du plus misérable des capitaines ? Oh !
solitaire mort après une vie solitaire ! Oh ! je sens
à présent que mon extrême grandeur est
dans ma douleur extrême. Oh ! accourez des plus lointains
rivages pour gonfler, ô vagues intrépides de
toute ma vie passée, cette lame unique de ma mort
qui va déferler ! Vers toi je roule, baleine destructrice
qui ne récolte que le néant, je suis aux prises
avec toi jusqu'au dernier instant, du cœur de l'enfer
je te frappe, au nom de la haine je crache contre toi mon
dernier souffle. Sombrez tous cercueils, tous corbillards
dans la mare commune puisque nuls ne peuvent être miens,
que je sois déchiqueté et lié à
toi en te chassant, baleine maudite ! C'est ainsi que je
rends les armes !
Et le harpon fut lancé, la baleine frappée
chargea, la ligne courut dans son engoujure en s'enflammant,
puis se noua. Achab se pencha pour la démêler
et il y parvint, mais le nœud coulant en plein vol lui
enserra le cou et sans voix, comme la victime des bourreaux
muets des sultans, il fut emporté hors de la baleinière
avant que les hommes aient eu le temps de s'en apercevoir.
L'instant d'après, la lourde épissure à
œil de l'extrémité de la ligne gicla hors
de la baille vide, renversa les canotiers et, frappant la
mer, disparut dans les profondeurs.
L'équipage pétrifié resta un moment
immobile, puis se retourna : « Le navire ? Grand Dieu,
où est le navire ? »
Bientôt ils le virent dans une atmosphère trouble,
bouleversante, fantôme évanescent, vu comme
à travers les brouillards de la fée Morgane.
Seuls les trois mâts émergeaient encore et soit
aberration, fidélité, ou destin, au sommet
de leurs perchoirs élevés, les harponneurs
païens guettaient toujours la mer. Maintenant, les cercles
concentriques se resserrèrent autour de la baleinière
esseulée et de son équipage, saisissant chaque
aviron qui flotte, chaque hampe de lance, les êtres
animés, les objets inanimés, les emportant
en rond dans un unique maelström, leur dérobant
la vue de la plus petite épave du Péquod.
Mais tandis que les derniers tourbillons se refermaient sur
la tête de l'Indien au grand mât, laissant encore
émerger sa flèche ainsi que le penon qui flottait
paisiblement de toute sa longueur, la dérision d'une
coïncidence voulut qu'au-dessus des lames destructrices
qui le touchaient presque, un bras rouge tenant un marteau
sortit de l'eau et d'un geste large, se mit à clouer
plus fort et toujours plus fort le drapeau à l'espar
qui pointait encore. Un aigle de mer avait suivi, provoquant,
la descente du grand mât loin de sa vraie demeure parmi
les étoiles, harcelant Tashtego en piquant du bec
le drapeau ; son aile se mit à battre entre le marteau
et le bois et, sentant aussitôt ce frisson éthéré,
le sauvage noyé, dans la convulsion de son agonie,
le cloua. Ainsi l'oiseau du ciel au cri d'archange, le bec
impérial levé, le corps captif du drapeau d'Achab,
sombra avec son navire qui, tel Satan, ne descendit pas en
enfer sans avoir entraîné à sa suite
une vivante part de ciel pour s'en casquer.
Et maintenant de petits oiseaux volaient en criant au-dessus
du gouffre encore béant, une blanche et morne écume
battait ses flancs escarpés, puis tout s'affaissa,
et le grand linceul de la mer roula comme il roulait il y
a cinq mille ans.
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