Les débuts d'un jeune peintre photographe 1847, 1848
par Sylvie Aubenas


Anacréon, Bacchus et l'Amour
 

Les premières œuvres désormais connues sont des plaques de daguerréotype de la période 1847-1848. Deux peuvent être situées en 1848. Il s'agit du portrait du fils de l'architecte Charles Le Cœur : le jeune Pol Le Cœur, collégien au lycée Henri-IV, sourit avec gentillesse et spontanéité à l'objectif. Puis c'est la reproduction d'un tableau de l'ami Gérôme, Anacréon, Bacchus et l'Amour, présenté au Salon de 1848, aussitôt acheté par l'État pour le musée de Toulouse et photographié avant le transfert ; il porte une signature manuscrite au poinçon sur la plaque daguerrienne : "Gustave Le Gray d'après Gérôme". Le choix de Le Gray pour affronter la difficulté de reproduire une toile de grand format sur un daguerréotype en pleine plaque et l'exceptionnelle qualité technique du résultat prouvent qu'il n'en est pas à son coup d'essai.
D'autres portraits remontent à cette période, et les modèles appartiennent déjà au meilleur monde : ainsi trois jeunes garçons inconnus mais visiblement de riche extraction, en habit, et un portrait de jeune fille. Il photographie aussi le cercle de ses intimes : Henri Le Secq ou ses parents.

Portrait de trois jeunes garçons Portrait de la mère de Henri Le Secq Portrait du père de Henri Le Secq
Portrait de Henri Le Secq  

Le très beau portrait de Henri Le Secq n'est malheureusement connu que par une impression en héliogravure. La composition y est d'un négligé particulièrement calculé, d'un mouvement presque maniériste. Le Secq pose familièrement assis en travers d'un fauteuil, avec le sourire d'un gai compagnon. Les accessoires qu'il tient à la main, billet plié et chapeau haut de forme, ainsi que le mouchoir froissé qui tombe de sa poche, sont utilisés avec une science du naturel apprise dans les beaux portraits que peint alors Delaroche (notamment celui du comte de Pourtalès, 1846, musée du Louvre).

   
Portrait de Maxime Du Camp Portrait de Mestral

L'atelier de la barrière de Clichy  : vue prise du toit ou de l'étage supérieur
L'atelier de la barrière de Clichy  : vue d'ensemble de la maison
L'atelier de la barrière de Clichy : vue prise depuis la maison

Le Gray s'installe d'abord rue de Richelieu ou il reçoit de premiers élèves. Les nombreuses vues de l'atelier qu'il habite à partir de 1849, aux portes de Paris, chemin de ronde de la barrière de Clichy (actuel boulevard des Batignolles), ainsi que les portraits de ses élèves (Du Camp, Piot, Mestral) situent le milieu bohême et plein d'enthousiasme de la photographie au tournant des années 1850.
  
À cette époque, il publie coup sur coup quatre traités techniques qui ne feront qu'accroître sa réputation. La réflexion de Le Gray sur l'avenir de la photographie, sa clairvoyance quant aux virtualités artistiques du médium, son insistance sur la subordination de la technique à l'effet, le placent dès lors doublement en porte-à-faux : par rapport aux photographes commerciaux de son temps qui, pris par la "folie industrielle", poursuivront des profits plus immédiats par une production en série ; mais aussi face aux théoriciens qui voient dans la photographie la servante de la science. Quelques vues de Fontainebleau (les plus précoces) ainsi que des études d'après nature et reproductions de tableaux, montrent à quel point son œuvre est indissociable du mouvement général des arts dans lequel, de façon visionnaire, il tient à inscrire la photographie.