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Les uvres les plus fortes de Le Gray à
Fontainebleau, ses arbres aux formes particulièrement originales,
sont sans véritable équivalent dans la peinture contemporaine.
On trouve alors, à vrai dire, des "portraits d'arbres"
comme on a des "paysages-portraits", arbres connus, réputés
pour leur âge ou leur symbolique : ainsi, à Fontainebleau,
Le Rageur, souvent traité par Corot, ou le chêne de
Flagey, appelé aussi chêne de Vercingétorix, peint
par Courbet en 1864. Théodore Rousseau également peignit
des arbres isolés dans Groupe de chênes, Apremont,
un tableau exactement contemporain des travaux de Le Gray. Cependant les
analogies de composition ne doivent pas abuser : l'esprit de Le Gray
apparaît très différent. Il n'y a chez lui aucune
volonté narrative, pas de sous-entendu historique, ni même
de mise en valeur de l'arbre par son inclusion dans un large paysage.
Il n'ouvre pas sur les lointains, comme Courbet ou comme Rousseau, qu'il
bloque la perspective en choisissant une prise de vue basse et très
rapprochée, ou qu'il laisse l'arrière-plan dans le flou.
Le ciel peut se distinguer au travers des feuillages, il reste très
secondaire. Tout l'accent est mis sur l'arbre, sur sa silhouette grâce
à la composition d'ensemble, mais aussi sur le détail même
de son apparence. Et pourtant il ne s'agit pas non plus d'études
: la monumentalité de la composition hisse chacune de ces photographies
au rang d'une uvre achevée, ajoutant la qualité esthétique
à l'aspect strictement documentaire. Le Gray se montre là
autant peintre que photographe : dans le choix et le traitement du
sujet tout d'abord, qui évoquent des tableaux ou des genres connus,
mais en en proposant une autre approche. Dans son travail technique ensuite
: on sait que ces Arbres correspondent au moment où, passant
au collodion humide, il raffine les effets de matière en travaillant
sur négatifs papier les tirages de ses négatifs verre. La
comparaison des épreuves montre bien, par ailleurs, qu'une uvre
aussi significative que Le Pavé de Chailly a subi de nombreuses
modifications à Paris même, en particulier par des changements
de ciel, Le Gray combinant plusieurs prises de vue, donc plusieurs moments,
puisqu'il associe un négatif papier produit vers 1852 à
des négatifs verre produits eux en 1856, le tout ayant été
tiré entre 1856 et 1859 : une démarche qui s'apparente étroitement,
en définitive, à l'exécution d'un paysage composé
dans le rapport entre le travail en plein air et le travail en atelier,
où se crée la composition définitive – démarche
qu'on retrouve dans ses marines.
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